L'Homme à la trace
Le morceau de bois présenté ici, sculpté par mes soins, provient de la Forêt de Faulx, en Lorraine ; endroit dans lequel il est coutumier de devoir avertir les bûcherons des dangers encourus. Ainsi : "Attention : mitraille". Ce qui veut dire, - en clair -, que les conflits armés ont laissé derrière eux, ici et dans la région où je vis, des traces ; stigmates liés à la guerre, aux débris de métaux fichés dans le corps des arbres, en plus de ceux ayant touché des hommes, et, au grand nombre d'obus et de projectiles de tous types enfouis dans les sols, ou, encore, des matières chimiques soustraites au regard, car ensevelies ou dissoutes dans les terres...
Aujourd'hui même, en certains endroits de Meurthe-et-Moselle, et en d'autres lieux, il y a lieu, faut-il le rappeler, d'être encore(-très-) vigilent et prudent !?
Mais encore…
Il est aussi impératif de prendre de grandes précautions…, de dégager soigneusement le sol, lorsqu'il prend l'envie à l'homme de faire du feu. En d'autres circonstances, de s'arrêter immédiatement, lorsque dans sa tâche, la chaîne de la tronçonneuse, ou d'autres outils de coupe, commencent à "faire des étincelles", au contact du métal ferreux enfoui dans l'âme du bois…
En ramassant la pièce (branche) qui m'a permis de réaliser ma sculpture, j'ai tout de suite remarqué une trace foncée, importante, et, apparente en surface ; une coloration due à l'oxydation du fer ; de l'acier "qui fond", sous l'effet de l'humidité et de l'oxygène de l'air.
En sculptant cet élément, je me suis retrouvé au contact d'une pièce solide et très dure ; un morceau de métal bien ancré, comme enraciné à l'intérieur du tronçon de végétal ("un monde à l'an fer, en somme").
Depuis la Seconde Guerre mondiale (ou avant ?), l’éclat est demeuré dans une ramure de l'arbre, intact, ou presque.
Ainsi, avec le temps qui passe, le feuillu a, peu à peu, "absorbé, digéré" la "pièce à conviction".
L'arbre se serait-il ainsi, par le fait même, transformé en une forme particulière… de conservateur de l'Histoire des Hommes ?
Lors du façonnage de l'oeuvre, j'ai désiré, non seulement conserver "cette trace", mais aussi, en faire l'élément majeur de la sculpture.
A ces fins, je me suis efforcé de dénaturer au minimum la pièce en bois.
Je pense que dans l'aspect actuel de la chose, il est impératif de conserver en mémoire l'espace temps qui existe entre la furtivité de l'instant (explosion et projection) et l'intemporalité qui existe entre ce moment-là, qui relève du passé, et, la durée du temps qui nous sépare de l'action, jusqu'enfin, au moment de la découverte de ce qui constitue le produit abouti, LA résultante… C'est ce parcours intemporel, ou presque, qui m'émeut tant encore aujourd'hui, à propos de cette pièce unique à mes yeux.
Il est pour moi important de conserver en mémoire l'image du contraste qui (co)existe entre l'échelle temps, au regard de l'espérance de vie des hommes, cela, par rapport à l'existence moyenne d'un chêne, par exemple… Ce rapport "temps" contraste de manière significative entre les règnes animal et végétal.
Il est intéressant, enfin, par le biais de cet insignifiant bout de métal fiché dans le bois, de porter sa réflexion sur l'incidence qu'a l'action de l'homme sur son environnement, sous des aspects parfois insoupçonnés et d'un point de vue rationnel, matériel ou encore… temporel, historique, etc.
Enfin, subsiste, en mon cœur, le doute quant au fait que cet insignifiant morceau de métal ait pu, (ou non), infliger la mort, ou, dans une moindre mesure, occasionner une blessure à tout individu ayant pu se trouver dans la trajectoire de l'arbre, au moment de l'explosion du projectile…
Ainsi, et pour clore, ce simple bout de bois, transpercé d'un bout de métal rouillé, a éveillé en moi une réflexion. Celle qui porte mon attention sur les conditions de vie des hommes durant la guerre, et, cela, au travers des époques et par delà le temps qui passe.
Cet homme qui aurait pu se trouver entre les éclats de la pièce d'artillerie et l'arbre…, je l'ai imaginé au travers du seul élément qui demeure à travers le temps : ce morceau de métal enfiché dans ce qui a été jadis l'une des ramures d'un arbre majestueux…
Pour la petite histoire… Il est bon de se dire qu'après coup, qu'ensuite d'avoir encaissé la mitraille, cet arbre ait continué d'évoluer, et de la sorte réussi à re…pousser, comme d'un revers de branche, un segment d'Histoire qui ne le concernait guère.
Christophe Le Moing + Luc Pz.