Emile Augustin Cyprien Driant est né le 11 septembre 1855 à Neuchâtel ; ville du département de l'Aisne où son père était notaire et juge de paix.
Elève au lycée de Reims, il obtient le premier prix d'histoire au Concours général.
Contrairement au souhait de son père de le voir lui succéder, Emile désire être soldat, marqué par la défaite de 1871 et le passage des troupes prussiennes.
Après avoir obtenu une licence ès-lettres et en droit, il intègre Saint-Cyr à vingt ans, en 1875.
Sorti quatrième deux ans plus tard, il entame une carrière militaire des plus méritante : "petit, mais solide, santé à toute épreuve, très actif et toujours prêt ; monte fort bien à cheval et a un goût très prononcé pour l'équitation, très intelligent a devant lui le plus bel avenir", écrira un de ses supérieurs.
Il sert au 54e régiment d'infanterie de Compiègne puis à Saint-Mihiel.
Promu lieutenant en 1883 au 43e régiment d'infanterie, il est affecté à Tunis où le général Boulanger, alors gouverneur général de la Tunisie, le prend sous ses ordres comme officier d'ordonnance ; il lui accordera en outre la main de sa fille, Marcelle.
Capitaine en 1886, il suit Boulanger à Paris alors nommé ministre de la guerre. Préférant l'action aux intrigues politiques, il retourne en Tunisie au sein du 4e zouaves ; l'épisode boulangiste lui vaudra la méfiance de son entourage et son affectation loin de Tunis, à Aïn-Dratam, à la frontière algérienne.
Le couple Driant revient à Tunis et s'installe à Carthage, où il fréquente le cercle catholique du cardinal Lavigerie, alors primat d'Afrique.
Driant utilise ce moment d'accalmie dans sa carrière pour faire oeuvre d'écrivain sous le pseudonyme de "capitaine Danrit".
Ainsi, alors qu'il st député de Meurthe-et-Moselle, à partir de 1910, il publie de nombreux romans illustrés pour la jeunesse, empreints d’un nationalisme intransigeant.
Le succès est au rendez-vous, les romans se suivent : La guerre de demain ; La guerre de forteresse ; La guerre en rase campagne ; La guerre souterraine ; L'invasion noire ; Robinsons sous-marins ; L'aviateur du Pacifique...
Le Capitaine Danrit est, avec Louis Boussenard et Paul d'Ivoi l'un des principaux auteurs du Journal des voyages. Ses récits sont inspirés du modèle vernien du roman d'aventures, mais relu à travers la défaite de Sedan et l'expansionnisme colonial français.
La découverte du monde et de ses merveilles devient l'évocation de richesses à puiser ou de menaces à circonscrire ; les machines extraordinaires, qui permettaient, chez Jules Verne, de voyager à travers les airs et les mers, sont désormais avant tout des engins de guerre, pour détruire l'adversaire.
Son oeuvre est caractéristique du roman d'aventures coloniales de la fin du XIXe siècle et répond à la logique, plus spécifique, des années précédant la première guerre mondiale.
Dans ses écrits, une vaste place est accordée à l'armée. Ils sont le reflet d'une opinion publique obsédée par la menace d'une guerre, où en outre, il affirme son goût des grands hommes et sa méfiance à l'égard des parlementaires.
Ils accompagnent les discours quotidiens de la presse, toujours attentive aux incidents internationaux (Fachoda en 1898, la crise du Maroc constitue la trame narrative de L'Alerte en 1911), aux risques d'embrasement qu'ils portent en eux et à l'obsession du déclin de la France et de l'Europe.
Ainsi, dans L'invasion jaune, ce sont les Américains, capitalistes âpres au gain, qui permettent aux asiatiques de s'armer, en leur vendant fusils et cartouches.
Il imagine aussi comment utiliser massivement les armes actuelles dans une situation de guerre mondiale : gaz mortels ; aéroplanes ; sous-marins...
Le rôle de chaque invention est considéré dans la perspective d'une vaste offensive.
L'officier rejoint le romancier, lorsqu'il fait oeuvre de pédagogie dans sa trilogie historique destinée à la jeunesse : Histoire d'une famille de soldats (Jean Taupin en 1898, Filleuls de Napoléon en 1900, Petit Marsouin en 1901).
Le capitaine Danrit écrira ainsi près de trente romans en vingt-cinq ans.
Rappelé en métropole, l'"idole du soldat" est nommé instructeur à Saint-Cyr en 1892, auréolé de son prestige d'écrivain militaire et de visionnaire : ses écrits annoncent la guerre des tranchées.
En décembre 1898, il est nommé chef de bataillon au 69e d'infanterie de Nancy, après un retour de quatre ans au 4e zouaves. Après un court séjour dans la cité nancéenne, il réalise son voeu de commander un bataillon de chasseurs. Il reçoit le commandement du 1er bataillon de chasseurs à pied stationné dans la caserne Beurnonville à Troyes.
Sa détermination et son courage le conduisent à risquer sa vie le 13 janvier 1901 lorsqu'il intervient pour raisonner le forcené Coquard dans le faubourg de Sainte-Savine.
Malgré ses brillants états de services, Driant n'est pas inscrit au tableau d'avancement. Politiquement engagé dans un catholicisme de droite, il subit les contre-coups de l'anticléricalisme ambiant des années de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, et se voit inculpé dans l'affaire des fiches où les officiers auraient été notés en fonction de leur opinions religieuses.
Une campagne de presse lui reproche d'avoir organisé un office en la cathédrale de Troyes à l'occasion de la fête de Sidi-Brahim et d'avoir attenté à la liberté de conscience de ses hommes en les contraignant à assister à ce même office.
Frappé de quinze jours d'arrêt, il demande sa mise à la retraite et décide d'entrer en politique afin de défendre l'Armée au Parlement ; il a alors cinquante ans.
En 1914, âgé de cinquante-neuf ans, il demande à reprendre du service, ce qu’il fait tout en conservant son mandat.
Au cours de ses rares apparitions à la Chambre, il rapporte les propositions de loi tendant à créer une "médaille de la valeur militaire" ainsi que la "Croix de guerre".
Le 22 février 1916, il tombe au milieu de ses chasseurs au Bois des Caures, près de Douaumont, sur les hauteurs de Verdun.
Ainsi, en ce jour-là il succombe alors qu'il coordonne les 56e et 59e BCP.
Les Allemands l'inhume sans cercueil à l'endroit où il est tombé, le CBA Renouard est enterré à ses côtés.
Le 9 août 1919, dans la matinée, ils sont identifiés par l'adjudant Torréano et quatre soldats identificateurs qui ont ouvert les deux tombes en présence de Mme Driant, du Général Renouard, le Gal. Valentin (gouverneur de Verdun), du lieutenant Robin, chef de l'état civil, du Curé de Ville...
Les restes ont été formellement reconnus, les galons étant encore nets sur l'uniforme, habit semble-t-il non remis à son épouse, comme l'affirme une autre source.
Le général Renouard fai transférer son fils au cimetière du Faubourg-Pavé à Verdun.
Le colonel Driant fut ainsi mis en biére et laissé sur place.
Son cercueil et sa tombe ont été retrouvés intacts le 9 octobre 1922 lors de sa seconde exhumation.
Les faits...
Les 21 et 22 février 1916
La consigne était de tenir jusqu'au bout. Elle a été observée.
Le Députe de Nancy, le colonel Driant, Saint-Cyrien, demande à rejoindre le front avec son grade et on lui confie, au Nord de Verdun, une demi-brigade formant corps constituée de deux bataillons de Chasseurs : les 56e et 59e B.C.P.
Officier mais aussi homme politique, Driant, qui a toujours eu son franc-parler, ne se gêne pas pour observer et formuler des critiques sur l'organisation du secteur de Verdun.
Ce qui n'empêcha nullement la poursuite du démantèlement des ouvrages de la place fortifiée, alors même que les positions intermédiaires étaient à peine esquissées.
Pratiquant au milieu de ses Chasseurs un commandement d'une affectueuse simplicité non dénuée de rigueur, il ne pouvait rien faire d'autre qu'organiser son secteur et attendre l'orage qu'il voyait venir avec une cruelle lucidité.
Driant, dès le 20 janvier, avait, dans un ordre du jour à sa demi-brigade, annoncé la grande épreuve. Voici ce texte, où sont soulignées les lignes qui précisaient à l'avance le caractère de la lutte sans précédent qui allait s'engager.
Ordre du jour
20 janvier 1916
"L'heure est venue pour les graciés et les chasseurs des deux bataillons de se préparer à l'action, et pour chacun de réfléchir au rôle qui va lui incomber. Il faut qu'à tous les échelons on soit pénétré que dans une lutte aussi morcelée que celle qui s'apprête, nul ne doit se retrancher derrière l'absence d'ordres pour rester inerte.
Multiples seront les interruptions de communications, fréquentes les occasions où des portions d'effectifs se trouveront livrées à elles-mêmes.
Résister, arrêter l'ennemi par tous les moyens doit être la pensée dominante de tous les chasseurs ; ils se rappelleront surtout que dans les combats auxquels ils ont assisté depuis dix-sept mois, ils n'ont laissé entre les mains de l'ennemi d'autres prisonniers que des blessés. Les chasseurs ne se rendent pas."
Le 21 février, il se lève tôt, il regarde le ciel splendide, le soleil brillant. Il ôte son alliance qu'il remet à son secrétaire : "Si je suis tué, vous irez la rapporter à Madame Driant".
II monte à cheval au Bois des Caures, suivi de son palefrenier.
Il est 6 heures 45
Il se rend au chantier où une compagnie de réserve construit un boyau sous la direction des lieutenants Leroy et Simon. Il fait interrompre le travail et envoie la troupe sur ses emplacements de combats.
Pendant qu'il cause avec les deux officiers le premier obus éclate ; la tragédie est commencée.
Le terrain du Bois des Caures (Caures : noisetier en patois local), humide, se prête mal au creusement des tranchées aussitôt inondées.
Les 56e et 59e B.C.P. organisèrent là un système de redoutes dont la tragique faiblesse était le gabionnage.
C'est dans ces contions que l'atteint le choc du 21 février 1916.
Les positions du Bois des Caures et du bois d'Haumont à gauche est tenu par le 165e R.I. Ils sont en plein dans l'axe offensif des Allemands.
Le bombardement lamine les retranchements si fragiles devant les 150, 210 et 305.
Driant lui-même avait écrit la veille : "leur assaut peut avoir lieu cette nuit comme il peut être encore reculé de quelques jours".
Début de la bataille de Verdun
En février 1916, le secteur du Bois des Caures est occupé depuis novembre 1915 par le groupe de Chasseurs du lieutenant-colonel Driant.
Le groupe comprend le 56e B.C.P. du capitaine Vincent et le 59e B.C.P. du commandant Renouard. Depuis plusieurs semaines, les deux bataillons, alternativement en ligne, ont renforcé leurs positions et aménagé leurs défenses, sous l'impulsion de Driant qui pressent une attaque imminente.
Le 21 février 1916, à 7 heures du matin, le premier obus tombe sur le bois et Driant, sachant que l'heure du sacrifice a sonné, parait au milieu de ses chasseurs qu'il ne quittera plus.
Le bombardement devient si dense que tout le terrain semble miné.
Dès 10 heures, le bois est impraticable, c'est un vrai chaos.
A 17 heures, le bombardement cesse brusquement, puis le tir reprend, mais très allongé, c'est l'attaque rapide, souvent même la lutte au corps à corps.
Malgré des actes d'héroïsme extraordinaires, quelques tranchées sont prises.
Le soir venu, l'ennemi est maître d'une partie des premières lignes.
Mais les chasseurs de la compagnie Robin contre-attaquent dans la nuit glacée, reprennent leurs tranchées et sèment la panique parmi les Allemands, persuadés que les Chasseurs sont tous hors de combat.
Vers minuit, le colonel Driant parcourt tout le secteur, va à l'extrême pointe des tranchées et encourage tous ces hommes.
Le 22 février au matin, si les Chasseurs ont reconquis les tranchées de première ligne perdues la veille, partout ils sont à portée de grenade de l'ennemi.
Dès 7 heures, un bombardement aussi formidable que celui du matin précédent, reprend.
A midi, la canonnade cesse.
Les Chasseurs survivants bondissent à leurs postes de combat.
Leur colonel est au milieu d'eux, il prend un fusil et tire.
Le Bois des Caures n'existe plus comme couvert.
Les masses ennemies l'encadrent.
Trois compagnies de première ligne meurent à leurs postes, submergées par deux régiments.
La compagnie Seguin fait merveille. On se bat à la grenade tant qu'il y en a, puis à coup de pierres, à coup de crosses.
A 13 heures, nouvelle attaque.
Toujours un fusil à la main, Driant est sur le dessus de son poste de commandement, au milieu de ses agents de liaison. Il est d'excellente humeur. Tireur d'élite, il annonce le résultat des coups, les fautes de pointage. La compagnie Simon contre-attaque et fait même des prisonniers.
A 16 heures, il ne reste plus qu'environ 80 hommes autour du colonel Driant, du comandant Renouard et du capitaine Vincent.
Tout à coup, des obus viennent de l'arrière. Le Bois des Caures est donc tourné. C'est la fin.
Dans le but de combattre encore ailleurs et de ne pas être fait prisonnier, Driant décide de se retirer en arrière du bois.
Trois groupes s'organisent... Celui du colonel comprend la liaison et les télégraphistes.
Chacun s'efforce de sauter de trou d'obus en trou d'obus, cependant qu'une pièce allemande de 77 tire sans arrêt.
Le colonel marche calmement, le dernier, sa canne à la main. Il vient de faire un pansement provisoire à un chasseur blessé, dans un trou d'obus, et il continue seul sa progression, lorsque plusieurs balles l'atteignent : "Oh là ! Mon Dieu" s'écrie-t-il. Le député de Nancy s'abat face à l'ennemi, touché à la tampe.
Des 1.200 chasseurs de Driant, contre lesquels se sont acharnées les divisions du XVIIIe corps d'Armée allemand, une centaine seulement sont sauvés.
Le Krönprinz s'attendait à une résistance de quelques heures.
Cet arrêt imprévu de deux jours permet aux réserves d'arriver.
Verdun ne tombera pas.
Le lieutenant-colonel Driant est inhumé par les Allemands à proximité des lieux de son trépas, alors que ses effets sont retournés à sa veuve via la Suisse. En octobre 1922, le corps de Driant est exhumé.
Un mausolée, décidé par d'anciens combattants, dont Castelnau, y est érigé. Sur le monument, on peut lire : "Ils sont tombés, silencieux sous le choc, comme une muraille."
Chaque année, une cérémonie y est célébrée le 21 février, en souvenir du colonel Driant et de ses chasseurs tombés pour la défense de Verdun.
Après la Grande Guerre, le lieutenant-colonel Driant est élevé au rang de gloire nationale au même titre que les maréchaux Joffre, Gallieni, Pétain et Foch…
Une plaque commémorative a été offerte par les Saint-Cyriens de la promotion "lieutenant colonel Driant" à l'occasion du 20e anniversaire de leur baptême et du 70e anniversaire de la mort de leur parrain.
Extrait de : www.cheminsdememoire.gouv.fr ; texte pouvant avoir été partiellement réécrit afin d'en faciliter la compréhension.