Spielberg adapte le "Napoléon" de Kubrick : pourquoi l'empereur fascine les cinéastes
Mars 2013
Après "Lincoln", Steven Spielberg s’attaque à une autre figure historique : Napoléon Bonaparte. Le réalisateur opte cette fois-ci pour la mini-série. À quoi pourrait-elle bien ressembler ? Pourquoi Napoléon est un personnage mythique du cinéma ? Observations de David Chanteranne, historien et rédacteur en chef du magazine "Napoléon 1er".
Napoléon et l’écran, c’est une histoire qui date. Dès 1897, Louis Lumière réalise "Entrevue de Napoléon et du pape". Aujourd’hui, on estime que cette personnalité historique a fait l’objet de 700 adaptations au cinéma et près de 300 à la télévision.
Napoléon, un homme taillé pour le cinéma
Cette fascination pour l’homme peut s’expliquer de quatre façons :
- Napoléon Bonaparte, c’est avant tout un parcours hors-norme celui d’un jeune Corse qui se rend avec son père sur le Continent et qui deviendra le maître de l’Europe.
- Il est également le symbole du prestige, celui d’un empereur tout-puissant.
- L’homme a aussi une silhouette reconnaissable parmi tant d’autres. Sa petite taille, sa redingote, son bicorne, sa main toujours dans son veston… avec ce physique, il ne peut que frapper les spectateurs.
- Mais Napoléon c’est aussi un entourage idéal pour le 7e art. Entre Joséphine, la famille et les maréchaux, il y a de quoi faire en terme de personnages secondaires.
Napoléon Bonaparte a joué un rôle dans la Révolution française, a créé le Code civil, et a dominé l’Europe en très peu de temps. Il a donné l’image d’un homme qui a réussi à se façonner lui-même, le "self-made man" par excellence.
Entre 1930 et 1960, le cinéma a voulu faire des reconstitutions de cette période historique et de nombreux dictateurs ont utilisé Napoléon pour faire des films de propagande. C’est le cas de Benito Mussolini et "Le Champ de Mai" produit par son fils ou d’Adolf Hitler avec "Kolberg" de Veit Harlan.
De Chaplin à Kubrick, l’irrésistible envie d’adapter Bonaparte
Le cinéma a toujours eu cette fascination pour le personnage. Ainsi, dès les années 1930, Charlie Chaplin aurait eu l’envie de faire un Napoléon. Le projet est finalement mis de côté au profit du "Dictateur".
Stanley Kubrick fait lui aussi partie de ces Américains séduits par le personnage. Le cinéaste avait déjà bien avancé son projet, mais alors qu’il s’apprêtait à concrétiser son film, "Waterloo" de Sergueï Bondartchouk avec Rod Steiger et Orson Welles est sorti en salles. C’est un échec médiatique et Stanley Kubrick décide donc de changer son fusil d’épaule en s’intéressant au siècle précédent, ce qui donnera "Barry Lyndon".
Au fil du temps, le curseur a été déplacé. Ainsi "Les Duellistes" de Ridley Scott (1977) ou "Adieu Bonaparte" de Youssef Chahine (1985) qui raconte l’histoire du général Caffarelli. Napoléon n’est alors qu’un prétexte pour parler de cette période.
Il faut bien comprendre que cette fascination est surtout étrangère, et en particulier américaine. Des Français ont porté à l’écran le personnage, mais ils ont souvent eu du mal à s’attaquer à un mythe qui fait partie de leur patrimoine.
En revanche, outre-Atlantique, le personnage fait de très fréquentes apparitions comme Marlon Brando dans "Désirée" d’Henry Coster (1954). Selon moi, la dernière adaptation de qualité est celle d’Antoine de Caunes, "Monsieur N"… mais encore là, le réalisateur a choisi de ne pas mentionner ce nom dans le titre.
De quoi Spielberg doit-il parler ?
Ce qui fait la magie de Napoléon, c’est que finalement, il est possible de parler de tout, comme on peut très bien décider de ne pas montrer certains moments historiques. Si vous ne voyez pas la bataille d’Austerlitz, sa simple évocation suffira à interpeller le spectateur. Tout le monde connaît ce moment, nous arrivons tous, historiens ou non, à le situer. La première biographie de Napoléon suit de très peu sa mort et a été publiée en chinois. Preuve qu’il est connu dans le monde entier.
L’idée de faire une mini-série n’est pas non plus saugrenue dans la mesure où le parcours de l’homme s’y prête parfaitement : Bonaparte en Corse, Bonaparte le républicain jusqu’au Consulat, Napoléon l’empereur, Napoléon l’exilé, la mort de Napoléon à Sainte-Hélène… On pourrait d’ailleurs changer de forme et envisager de ne pas suivre la trame chronologique en alternant les allers-retours dans le temps.
Cette adaptation pourrait également être l’occasion de faire une refonte historiographique et de permettre aux historiens de s’accorder sur certaines polémiques.
Peter Jackson avait lui aussi émis l’idée de faire une adaptation, mais j’avoue qu’une version fantastique de Napoléon aurait surpris. Je suis donc plutôt rassuré que Steven Spielberg s’en charge. Cela m’apparaît comme une évidence : Spielberg met toujours le sujet au cœur de son film, que ce soit avec "Tintin", "Schindler" ou "Lincoln". Il est incontestablement le plus à même de faire une adaptation digne de ce nom.
Par David Chanteranne,
Historien
Propos recueillis par Louise Auvitu
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