Extrait de l'historique du 1er RI de Ligne ; période durant laquelle décèdera Jules...
Chapitre IV - Verdun
Le régiment cantonne le 22 février à Ventelay, Romain, Bouvancourt.
Le lendemain, à 5 heures, il gagne Romigny par une marche interminable et sinueuse dont un contre-ordre inopiné double la longueur et les courbes. Ployés sous le poids du sac et cinglés par la bise, glissant sur l'épais manteau de neige et pataugeant dans les rigoles d'eau boueuse, les poilus avancent allègrement. Regard clair et lèvres moqueuses, les riantes perspectives de la détente ensoleillent leurs âmes.
Au cours de la grande halte, une rumeur circule, inquiétante dans son imprécision. Précédés par un ouragan de fer et de feu, les Allemands se sont rués sur Verdun. La cuirasse de tranchées a craqué. Les boches se heurtent en rase campagne à la souple et frêle muraille des poitrines de nos poilus. La pénible nouvelle éveille dans les rangs des sentiments complexes qui se traduisent par des attitudes variées. L'optimiste malgré tout hausse les épaules, incrédule ; le casse-cou s'indigne et crie vengeance ; le pessimiste se lamente et récrimine ; les plus calmes - et c'est l'immense majorité - sans pouvoir se défendre d'une certaine anxiété, gardent confiance et sangfroid.
Devant l'austère réalité de la lutte décisive, le rêve de repos s'évanouit. Tous pressentent vue intervention prochaine dans la bataille de la Meuse.
Le lendemain, à l'aube, le régiment était alerté dans ses cantonnements de Romigny. Deux heures plus tard, les auto-camions l'emportaient à vive allure vers la fournaise de Verdun. Serrés et cahotés dans les lourds véhicules, les poilus, un instant déconfits, furent les premiers à rire de leur déception. Ils se vengèrent à la Française par d'innocentes plaisanteries sur le "secteur de tout repos".
Le 24, le régiment rallia dans la région de Vitry-le-François, à Saint-Amand-sur-Fion, les différentes unités de la 1ère Division d'Infanterie.
Le 26, il pénétra dans la forteresse désormais légendaire où l'acharnement de la lutte, se traduisait à première vue par la violence du bombardement et par le grouillement de troupes et de convois de toutes armes. Il s'établit au Nord-Est de la ville dans les hangars du champ d'aviation que venait d'évacuer le personnel aéronautique. . .
Dans la fournaise
Depuis cinq jours, les vagues d'assaut allemandes déferlent avec rage contre la ceinture des forts : bataille d'écrasement menée dans un style grandiose pour l'époque par le pilonnage de l'artillerie et le déchaînement des masses. Au moyen d'un rapide accroissement de notre feu, d'une sage utilisation du réseau viaire et des moyens de transport, d'une judicieuse intervention des réserves, le Commandement Français avait rétabli le combat. A l'heure où le 1er de Ligne entre en scène, une partie de nos troupes, à l'abri de défenses improvisées, émoussent l'arme offensive de l'adversaire tandis que les autres font surgir du sol de puissantes fortifications.
Acteurs de premier ou de second plan, tous sont soumis à de copieux arrosages. L'artillerie allemande a pour principe d'inonder le secteur en son entier, tranchées, boyaux de communications, cantonnements. Elle n'épargne que ce champ de mort que les Anglais ont baptisé d'un mot pittoresque, "No Man's land", la terre de personne.
Dans le grand drame qui se déroule, le 1er de Ligne jouera un rôle ingrat et effacé, mais fécond en dévouement et d'une efficacité hautement reconnue. Il est placé en réserve du groupement Guillaumat, qui s'insère dans la 2e Armée sous les ordres du général Pétain.
A l'arrière ou en première ligne, sous les rafales d'obus, loin de l'enthousiasme du corps à corps et soutenu seulement par son esprit d'abnégation et sa conception élevée du devoir, il édifie la muraille contre laquelle se briseront les assauts ultérieurs de l'ennemi.
Le 2 mars, une marche nocturne le porte à ses nouveaux cantonnements de Belleville. De là, ses travailleurs rayonnent sur la crête de l'entonnoir au fond duquel se blottit Verdun. Les bataillons Frère et de Job se déploient entre le fort de Belleville et le fort Saint-Michel, entre le bois Lecourtier et la côte de Froide-Terre. Le bataillon Mangin, campé à Thierville, garnit les rives de la Meuse et de son canal. Quelques jours de labeur intelligent suffisent pour imprimer à ces paysages pacifiques un redoutable caractère défensif ; les tranchées crèvent la nappe de gazon, les fils de fer égratignent le ciel clair.
L'artillerie allemande déverse chaque jour une grêle d'obus de tous calibres. Un éclat tue le sous-lieutenant Thomas. Un shrapnell abat dix hommes dans un chantier à Froide-Terre. Les 380 et 420 démolissent systématiquement les faubourgs de Verdun. Le 1er de Ligne reçoit l'ordre de faire évacuer Belleville. La consigne implacable se heurte à cet indéfinissable amour qui, en dépit de la mort et des ruines, tient enracinés à leur petit coin de terre les fils de la douce France. A
force de délicatesse et de bonne volonté, les poilus en viennent à bout. A travers les rues croulantes de la cité, les exilés s'acheminent vers l'inconnu.
Le 19 mars, le régiment relève le 43e en première ligne. Deux bataillons prennent position sur la pente Sud de la côte du Poivre dont les Allemands tiennent le sommet. Le 3e bataillon à droite, assure la liaison avec le 162e dans les carrières d'Haudraumont. Les compagnies de réserve occupent Bras et Petit Bras-La Folie au débouché d'une série de ravins orientés d'Est en Ouest. Un cadre de collines ferme l'horizon. Des lieux familiers où gronde la bataille on n'aperçoit à l'Est que la masse sombre du fort de Douaumont. Les chocs d'infanterie se localisent au Sud-Est entre Vaux et Damloup, à l'Ouest, dans la région Forges - Bettincourt. L'activité combative du 1er de Ligne se limite à quelques entreprises de mince envergure : fusillades qui interdisent le développement des attaques ou la marche des patrouilles ennemies, reconnaissance hardie du sous-lieutenant Jumeaux, enlèvement nocturne par la compagnie Houvenaeghel d'un poste allemand perché sur la crête.
Le régiment reçoit toutefois le contre-coup meurtrier de l’offensive. Tandis que ses soldats approfondissent les tranchées, creusent des abris-cavernes, aménagent des banquettes de tir ou procèdent entre les lignes au sauvetage des obus et des douilles, le bombardement fait rage. Le village de Bras, les ravins à l'Est, la Côte de Froide-Terre, dont l'artillerie française couronne la croupe verdoyante, disparaissent sous un nuage de fumée. Les ravitailleurs qui doivent chercher la soupe à hauteur de la Folie, dans une étroite carrière où se portent les cuisines roulantes, renoncent maintes fois à percer le barrage d'acier. La côte du Poivre est secouée à intervalles réguliers par des rafales de 105 et de 150. Le 19 mars, à Bras, un obus incendiaire met le feu au poste de commandement du Colonel et tue deux soldats.
Le 29, un 130 mm démolit un poste français.
Le capitaine Bernard, accouru au secours de ses hommes, tombe mortellement blessé, justifiant une dernière fois par son mépris du danger et son amour du soldat, la belle définition du général de Fonclare : "C'est un brave homme et un homme brave".
Chaque jour, le journal de marche aligne, à côté des travaux effectués, la froide énumération des pertes subies : témoignage éloquent où l'on devine sous la sécheresse voulue du bilan officiel une volonté obstinée de tenir bon et d'encaisser sur place même si la riposte est impossible.
Dans les airs se livrent d'autres duels dont les gars du 1er sont les témoins angoissés et parfois les victimes. Déjà, le 15 mars, à Belleville, ils avaient eu le spectacle d'un drame aérien.
Emportées par une brusque tornade, une vingtaine de saucisses françaises avaient rompu leurs amarres et filaient à la dérive vers les lignes allemandes. Sur le bord d'une nacelle une ombre surgit, se balance et se précipite dans le vide à une vitesse vertigineuse. Les soldats poussent un cri d'effroi et attendent haletants la chute écrasante, quand soudain, ils voient un parachute s'ouvrir, se déployer, se gonfler, et l'observateur balancé par le vent, atterrir doucement au Nord du fort de Charny. De la côte du Poivre, les poilus du 1er suivent avec, intérêt les émouvantes péripéties de l'offensive aérienne allemande. Les Fokkers évoluent dans un cercle d'obus, bombardent nos positions, foncent sur nos avions d'observation et parfois, atteints par notre feu, s'abîment sur le sol.
Dans la nuit du 6 au 7 avril, le 1er Corps d'Armée quitta le champ de bataille de Verdun. Le général Guillaumat fut cité en ces ternies à l'Ordre de la 2e Armée : "A amené ses troupes sur le front de Verdun dans un état de préparation remarquable. Pendant que la 2e Division déployait dans ses attaques et contre-attaques, une énergie digne des. plus grands éloges, la 1ère Division procédait pendant quarante jours à une installation méthodique, sous un bombardement effroyable, repoussant plusieurs assauts sans se laisser détourner de sa mission". Cette formule tranchante et vigoureuse comme le jugement de l'histoire sanctionne à la fois la science tactique du chef et la tenace énergie des hommes.
L'historique complet du 1er RI : ici