Pour la période des vendredi 21, samedi 22 et dimanche 23 août 1914…, le bilan officiel de ces journées tragiques, à Tamines, fait état de 613 victimes civiles dont 384 tués…
Et, parmi ces derniers, on relève : 315 fusillés ; 40 noyés ; 13 carbonisés et des tués hors fusillade ou suite aux évènements...
Le massacre de civils à Tamines, et un peu plus à l’Est, passé Namur, en direction de Liège, à Andenne, est étroitement lié à la bataille de Charleroi, mais aussi au fait que les Allemands accusèrent, pour justifier leurs méfaits, des civils mêlés à des soldats français du Xe corps de la Ve armée française du général Charles Lanrezac, d’avoir tiré sur leurs troupes, comme l’avaient fait, ma foi, auparavant, en 1870, certains francs-tireurs français de la région de Sedan.
De ces évènements du début de la Guerre de 14-18, les populations belges et d’ailleurs conserveront longtemps en mémoire, à l’égard de l’envahisseur allemand, l’image d’un être barbare et assassin de femmes, d’enfants et d'hommes sans défense, pour ce qu’il aura systématiquement et méthodiquement assassiné des innocents désarmés tout au long de la traversée et de son occupation de la Belgique.
Située dans un des méandres de la Sambre, Tamines se trouve au Sud-Est de Fleurus, entre Jemeppe-sur-Sambre et Châtelineau ; plus près de Charleroi que de Namur, dans le même axe Ouest-Est.
Alors que le général von Kluck se concentre sur Mons, en direction de Paris, le général von Bülow, à la tête de la deuxième armée allemande, poursuit sa route vers la Basse-Sambre, en direction de Namur et de Charleroi.
Le 12 août, il arrive à Huy ; le 20 à Andenne (PDF, ici), où il fait fusiller 200 civils. Le jour d’après, il se rend à Tamines, et face à la 19e division d’infanterie française, une composante du Xe corps de l'armée française, mais aussi à un reliquat de gardes civiques belges postés à Charleroi.
C’est vers 6 heures du matin qu’une patrouille de cinq éclaireurs à cheval (Uhlans) arrive à Tamines par la route de Ligny. Un des cavaliers est blessé par un tir français, et, les quatre autres s’en vont chercher main forte auprès de leurs arrières. Une heure plus tard, trente cavaliers accompagnés de cyclistes investissent les lieux en même temps que des troupes arrivent en renfort.
Vers 13 heures, la bataille fait rage du côté d’Auvelais, de Velaines et d’Arsimont. Français et Allemands s’opposent par des duels d’artillerie. Les canons allemands sont postés à Velaine et à Alloux. Les Français, peu nombreux en effectifs par rapport aux Allemands, répliquent au départ de Tamines (PDF, ici) et d’Arsimont. Côté français, les ponts enjambant la Sambre, à Tamines, Auvelais et Farciennes, sont ravitaillés depuis la gare de Tamines ; de faibles effectifs y sont stationnés, afin de ralentir la progression allemande. Poussant devant eux des civils, des Allemands franchissent, en fin d’après-midi, la Sambre, alors que ces mêmes civils dégagent les sacs de sable et autres engins ou véhicules qui encombrent le pont.
Face aux tirs nourris des Français, les Allemands se retirent, au prix de lourdes pertes, et, en début de soirée, Tamines voit arriver un flux constant de soldats allemands venus en renfort. Bon nombre de maisons du village sont incendiées.
Vers deux heures du matin, les envahisseurs s’élancent à nouveau au combat, en direction du pont et de l’armée française qui leur fait face. Ces aller-retour seront accompagnés de duels d’artillerie, jusqu’au samedi, en début d’après-midi.
Face aux coups de butoir allemands, alors que les civils décident de rejoindre le centre du village, afin de se protéger des tirs qui criblent leurs demeures ou les font voler en éclats, les Français décident de quitter les lieux par le Sud.
Six cents Allemands seront mis hors de combat, lors de ces échanges meurtriers…
Alors que la bataille fait rage, de l’autre côté du pont, et que les Français font retraite, les civils sont rassemblés dans le village, par petits groupes séparés et constitués de femmes, d’enfants ou d’hommes.
Ceux-ci sont regroupés, escortés de soldats, en l’église Notre-Dame des Alloux, dans Tamines, après avoir été conduits sur les centres d'opération (postes d'artillerie) où ils auront eu à subir des simulacres d'exécution sensés les terroriser....
Entassés dans l’église, les villageois se demandent s’ils seront fusillés ou brûlés vifs dans l’édifice…
En un autre endroit du village, un ensemble de 150 personnes se constitue ; groupe qui continuera d’augmenter en nombre le jour suivant.
Vers 16 heures, les Allemands investissent les bâtiments scolaires où se sont réfugiés les civils ; ces militaires y installent leurs blessés au combat.
A l’église, vers 19 heures, et, après avoir séparé femmes et enfants et les avoir déplacés dans un bâtiment voisin, un officier annonce, en allemand, que certains seront fusillés.
Plus ou moins 600 hommes sont poussés hors de l’église par la troupe, au milieu du village ravagé par les flammes.
L’ordre est donné de constituer un rang, ‘à quatre de front’. Le cortège est emmené en direction de la place Saint-Martin qui jouxte tout en faisant directement face à la Sambre ; des jeunes garçons mêlés au groupe, sont extraits des rangs. Trois prêtres accompagnant la formation sont injuriés et frappés à coup de crosse par les soldats formant l’escorte ou par d’autres qui assistent "au spectacle".
Ces hommes venus de l’église des Alloux sont dirigés en deux groupes distincts, et, ensuite, tenus de s’aligner en bon ordre le long de la Sambre.
Là...
Un très long peloton d’exécution, à cinq hauteurs de fusils superposés, fait face aux civils qu’un officier accuse une fois encore d’avoir tué des soldats allemands. Ce même militaire ordonne que le groupe scande "vive l’Allemagne" ; "vive l’empereur" ! A cet ordre, par peur ou par désespoir, certains obtempèrent…
Il est vingt heures quand un premier coup de sifflet retentit et que dans la fusillade et sous les balles, les hommes se jettent par terre. Alors que les premiers coups semblent avoir peu porté au but, les soldats s’avancent vers les hommes au sol, pour les faire se relever. A peine debout, une seconde salve, soutenue par une mitrailleuse postée sur le pont, vient faucher le mur humain en son extrémité. Les soldats tirent de manière sporadique et irrégulière sur les hommes encore debout.
Certains membres du groupe arrivent à sauter dans la Sambre, indemnes ou presque. Le peloton d’exécution se disloque, pour faire place à un ensemble de soldats portant un brassard de la Croix-Rouge, et, venant de l’église.
Ces derniers sont munis de fusils, baïonnette au canon, de gourdins, de haches et d’autres outils de fortune. De nombreux blessés, reconnaissant les brassards, en appel à l’aide à ces "infirmiers venus les aider", pensent-ils (!)…
L’abbé Donnet témoigne... Il y eut dans l’opération, deux parties bien distinctes. Ils se mirent tout d’abord à tuer à tort et à travers, dans le tas. Ils longeaient le monceau, l’escaladaient, passaient sur les morts, sur les blessés, sur les mourants, et s’acharnaient sur tout ce qui paraissait âme vivante. (…) Pour leur terrible besogne, les ambulanciers et les soldats se servaient de toutes sortes d’instruments. D’abord et surtout de la baïonnette : ils l’enfonçaient partout, dans le monceau de chair humaine ;certains ont été transpercés qui étaient en dessous de plusieurs cadavres ;(…) Ils frappaient aussi de la crosse des fusils ; certains avaient de grosses bûches de bois, des barres de fer : j’en ai revu et retrouvé le lendemain à côté du carnage, toutes couvertes de chair, de cervelle et de sang. Enfin, j’ai entendu aussi donner sur les blessés des coups de cravache. (…) Nous arrivons ici, si je puis dire au clou de la cruauté. Les soldats opéraient à deux ; ils saisissaient les victimes une par une, examinaient si elles étaient en vie, puis les achevaient à coups violents et répétés de baïonnettes. …Après,…, ils les jetaient dans la Sambre.
Emile Leroy aussi, blessé par ces soldats chargés d’achever les blessés : du premier coup il me transperce le bras gauche de part en part ; le second plus furieux est porté en dessous du sein gauche
- et c’est grâce à un calepin que j’ai en poche, et qui est transpercé d’outre en outre, que le cœur n’est pas atteint. Je reçois un troisième coup dans le flanc droit, après quoi, craignant que les coups ne m’atteignent à la figure ou dans le ventre, d’un effort surhumain, je me retourne. Exaspéré sans doute, mon bourreau me lance un terrible coup de son arme; celle-ci pénètre dans le côté gauche du cou en dessous de l’artère carotide pour traverser une partie de la gorge et ressortir en dessous du menton - j’ai très bien senti le fer remuer dans la plaie, je l’ai même touché de ma main. Ayant retiré son arme de la blessure la brute m’offre le "coup de grâce" et me donne un coup formidable de crosse de fusil dans la nuque ; puis il m’abandonne croyant sans doute m’avoir tué. Il se trompe, je vis encore et j’ai toujours ma présence d’esprit. Cependant je perds mon sang ; craignant d’attirer à nouveau l’attention je n’ose faire aucun mouvement. Par un effort suprême de volonté je réussis cependant en usant de précautions - à nouer mon mouchoir de poche autour du cou pour essayer d’arrêter l’écoulement du sang car je me rends parfaitement compte que cette blessure est la plus grave de celles que j’ai reçues. Je viens à peine d’achever que j’entends tout à coup cette bande de sauvages qui revient à la charge ; la nuit est venue et pourtant je vois très bien qu’ils sont armés de pièces de bois ; à tour de bras ils frappent à nouveau dans le tas…, j’entends les coups qui martèlent les crânes. Au moyen de petites lampes électriques, ils inspectent leurs victimes, et celles qui se plaignent et elles sont nombreuses ; elles sont prises à bras le corps et jetées à la Sambre. (…) C’est alors que soudain je sens la botte d’un de ces bandits qui touche ma figure, il est là debout près de moi… Quelques minutes d’attente qui me paraissent un siècle, et il s’en va…"
L’ensemble des survivants s’accordent pour dire que le massacre a duré une grosse heure.
Traîné en dehors du groupe, l’abbé Donnet fut laissé pour mort, à côté de deux sentinelles.
Plusieurs hommes s’enfuiront à la nage en direction de fermes voisines de l’endroit du carnage. Certains moins amochés iront puiser de l’eau dans la Sambre, pour en donner aux plus mal en point, se plaignant, gémissant…
Le lendemain, au petit matin, se pose la question aux Allemands de savoir que faire des survivants…
Deux choix s’offrent à eux :
- emmener les survivants à Fleurus, non loin de Tamines ;
- reconstituer un peloton d’exécution…
Un témoin raconte… Semblant ému par ce qui s’est passé, un des deux médecins présents, à qui je demandai pour fumer : Il alla chercher des cigares. Il alla ensuite à sa gibecière, prit une galette et la donna à un blessé qui se trouvait à proximité : J.-B. Demoulin (qui n’a pas survécu, il est mort sur la place même). Je lui demandai aussi s’il n’avait pas dans sa gourde de l’eau de vie ; il me la présenta et j’en donnai à boire à J.-B. Demoulin. Cet acte humanitaire lui valut une scène de reproches et de colère de la part du corps de garde de l’église.
Après neuf heures trente, il est demandé au restant de la population demeurée la nuit à l’école des frères et en l’église des Alloux de se diriger à quatre de front, en deux groupes séparés : femmes et enfants d’un côté ; hommes de l’autre.
La colonne des hommes se dirige sans savoir à quoi s’attendre, vers la place Saint-Martin, au Sud du village. Le groupe des femmes et des enfants se dirige peu de temps après, dans la même direction que les hommes, au même endroit.
Arrivés sur place, les premiers hommes découvrent avec stupeur les survivants du massacre, ainsi que les morts, fusillés ou ceux retrouvés carbonisés ça et là dans le village et entassés, là.
Au moment où arrivent les femmes accompagnées des enfants, la place est bondée de soldats allemands, quand s’offre à eux le spectacle affreux de ces hommes dégageant une odeur épouvantable, du fait de leur état physique et de la période estivale particulièrement chaude.
Sous la menace des baïonnettes, ils resteront jusqu’aux environs de midi, pour qu’enfin arrivent, en auto ou à cheval, des officiers de haut rang… pour qui on dresse une table, afin qu’ils s’abreuvent et mangent. Celà, à proximité du lieu de la fusillade. Après eux, le restant de la troupe se relaiera à table ; bien saouls, ensuite, ils lanceront leurs flacons vides sur les survivants, spectateurs, malgré eux de la scène…
Début d’après-midi, porteurs d’un message de l’état-major, des officiers ordonnent que soient enterrés les suppliciés, non loin de l’endroit de l’exécution.
Une quarantaine de volontaires, à qui on a distribué des outils, se mettent à creuser une fosse de 10 mètres de long sur plus ou moins 6 de large.
Une nouvelle équipe, constituée d’hommes, est ensuite chargée de ranger les cadavres dans la fosse, ce lieu de sépulture improvisé. Afin d’activer la manœuvre, certains rescapés de la fusillade sont appelés en renfort, afin de donner un coup de main à l’ensevelissement des morts.
L’endroit est béni par le chanoine Crousse.
Il est 17 heures, lorsqu’est donné le coup de sifflet, signal du départ.
Les hommes sont à nouveau contraints de constituer des rangs, à cinq de face, cette fois ; les femmes sont autorisées à suivre les hommes. Les blessés légers de la fusillade ont obligation de compléter les rangs ainsi formés.
Plus tard, les plus grièvement atteints seront soignés par le docteur Defossé...
Le groupe remonte vers le Nord, via la rue de la Station, en direction de Velaine.
A la question d’un soldat qui regarde le convoi passer, de savoir où se dirige le groupe, il est répondu par un autre militaire que celui-ci est en partance pour l’exil…
Les Allemands libèreront finalement leurs otages, passé le bois, à Velaine.
A Tamines, les blessés les plus gravement touchés seront pris en charge par les religieuses du couvent des sœurs de la Providence et de l’Immaculée Conception.
Vidée de la grande majorité de sa population, Tamines, pour ce qui reste debout de la cité, sera pillée systématiquement.
Au total, 300 maisons seront incendiées.
Le village compte le triste record de 40 victimes ayant moins de 21 ans ; pour la plupart, des hommes.
Dans les 20 premiers jours de la guerre, en Wallonie, 5.000 civils seront tués et 15.000 habitations détruites.