Le Chemin des Dames (D18CD)
Culminant à une altitude de 190 mètres au dessus du niveau de la mer, le Chemin des Dames (ici) est un plateau calcaire orienté d’Est en Ouest, et situé entre les vallées de l'Aisne (Sud) et de l'Ailette (Nord). Ce promontoire escarpé permet une observation Nord-Est, entre Reims et Laon, mais aussi, vers le Sud, en direction de Soissons. Les Allemands occupent la position depuis leur offensive de août-septembre 1914.
Là haut, sur la montagne, ils ont eu soin de transformer ce gigantesque observatoire naturel en une forteresse imprenable, aménageant, à l’abri de l’artillerie, les carrières de craie souterraines, à l’endroit même où se trouve actuellement le musée, la Caverne du dragon. Mais aussi, en creusant des souterrains d’accès qui leur permettent de relier les positions arrières aux premières lignes, le tout étant truffé de redoutes et de meurtrières garnies de nids de mitrailleuses crachant le feu.
Depuis l’automne 14, et, plus précisément la fin 1915, l’endroit n’a guère fait l'objet, de grosses offensives.
Les Allemands tiennent la ligne de crête et, face à eux, les Français sont établis sur les pentes ; contreforts qui forment un dénivelé de 100 mètres.
En avril 1917, décision est prise, côté Alliés, d'effectuer une percée de grande ampleur.
L’offensive du 16 avril 1917 débute à 6 heures du matin. Elle doit, en principe, être la dernière de la guerre, après toutes les hécatombes enregistrées les années antérieures (1914 : 300.000 morts ; Artois - Champagne en 1915 : 200.000 et Verdun 160.000 autres).
En décembre 16, le général Nivelle succède à Joffre, alors que ce dernier promettait une victoire rapide et certaine pour le début de l’année 1917. La percée du front allemand doit avoir lieu entre Soissons et Reims, là où Napoléon a déjà combattu et défait, cent ans plus tôt, les Prussiens et les Russes, en 1814,… sur la crête du Chemin des Dames (Plateau de Hurtebise), au prix de près de 5.500 victimes françaises.
Les grandes lignes de l'offensive sont alors dessinées.
Les dés sont jetés, l’attaque se fera de manière coordonnée avec les Anglais. Ces derniers porteront leurs efforts sur un front compris entre Vimy et Soissons, alors que les Français attaqueront sur une ligne comprise entre Soissons et Reims.
Cette tactique permettra de porter leur riposte contre l’ennemi dans deux directions distinctes, "à angle droit", alors que peu de temps auparavant les Britanniques, les Canadiens, les Australiens, les Néo-zélandais et les Terre-neuviens auront déjà fait diversion en portant leurs coups aux Allemands à hauteur de Saint-Quentin et Arras, à l’Ouest, et au Sud et à l’aplomb de Vimy…
Pour prévenir une telle offensive, dont l'ampleur ne permet pas de garder le secret absolu quand on sait le nombre de soldats faits prisonniers, les Allemands se replient du 15 au 19 mars 1917 sur la ligne Hindenburg. Leur front est ainsi réduit de septante kilomètres. La manoeuvre permet par ce simple fait d'aligner moins de divisions face aux Alliés.
L'angle droit que forme la ligne de front en cet endroit est balayé.
La ligne d’attaque, côté franco-anglais, s'étend désormais dans la direction Nord-Ouest à Sud-Est, de Vimy à Reims, en passant par le Chemin des Dames. Les Alliés mettront une semaine pour mesurer l'ampleur de ce retrait tactique et stratégique opéré par les Germains. Les plans initiaux de l'offensive sont désormais caducs. Le GQG de Nivelle adapte ses projets à la nouvelle topographie du champ de bataille.
L'effort anglais portera sur Vimy et celui des Français se concentrera sur le Chemin des Dames…
Le sort de la bataille se jouerait-il en cet instant de l’Histoire ?
Cinq mille canons, - un, tous les 13 mètres -, des chars.
Mais encore…
Une fois sortis des tranchées, les combattants devront progresser en quatre bonds, à raison de 100 mètres toutes les 3 minutes, et ce, malgré la trentaine de kilos d’équipement emportés sur le dos, et, par delà une zone labourée par huit jours de bombardements intensifs.
Le 16 avril, malgré des préparatifs soignés, c’est pourtant l’échec, excepté dans le secteur de Vailly.
Les assauts ne parviennent pas à dépasser la première ligne allemande, alors que des positions teutonnes sont pratiquement intactes.
L’effet de surprise n’a pas joué !
Les conditions météorologiques défavorables ont gêné les observations indispensables aux réglages des artilleurs. Au matin du 16 avril, elles sont calamiteuses, alors que pluie glacée et bourrasques de neige s’abattent sur des combattants venus parfois d’Afrique noire, et victimes d’engelures ou tout simplement paralysés par le froid.
Les premières heures de l’offensive sont particulièrement meurtrières.
Certaines unités perdent le tiers, voire, la moitié de leurs effectifs.
A l’échec militaire s’ajoutera un désastre sanitaire, alors que les colonnes de blessés et d’éclopés s’enliseront parfois dans la boue et ainsi n’atteindront jamais les postes de secours.
Face au désastre certains blessées seront transportés au fin fond de la France, afin d’éviter que Paris n’ait à devoir prendre conscience de cette catastrophe humaine qui s’est déroulée aux portes de la capitale…
Le 15 mai, Philippe Pétain sera appelé à remplacer Nivelle.
La déception est grande et à la mesure de ce qu’avaient été les espérances.
Avant le printemps 1917 le front avait connu des désertions et des refus d’obéissance, même à Verdun.
Après le Chemin des Dames, les "actes d’indiscipline", comme les rapportent les officiers, se multiplient dans des unités qui doivent repartir pour les tranchées.
A Villers-sur-Fère, à Missy aux Bois, et dans d’autres villages où les troupes ont été envoyées au repos, les soldats, par compagnies entières, refusent de remonter au front…
On fait bientôt état de mutineries, alors que le plus souvent, les "mutins" refusent, non pas de se battre, mais la perspective de boucheries inutiles.
Quarante divisions, soit près de 100.000 hommes sont concernées.
Le haut commandement cherche à enrayer le mouvement, l’épidémie.
Les conseils de guerre prononcent 3.400 condamnations, dont 600 à mort, la plupart sont commuées en peines de travaux forcés à effectuer dans les colonies…
C’est le moment choisi pour qu’enfin le commandement lâche du lest face aux grévistes en arme.
Ainsi sont décrétés : l’augmentation du nombre des permissions ; l’amélioration de la vie quotidienne des soldats…
Fin juin, l’ordre est rétabli, alors que la réputation de Pétain se forge, à cet instant là, dans le cœur de ses hommes.
Tout espoir de grande offensive est suspendu.
Philippe Pétain, contre les aspirations de Georges Clemenceau, mène des opérations limitées, dans l’attente de blindés et de l’arrivée des Américains.
Les combats se poursuivent toutefois sur le Chemin des Dames jusqu’à l’automne, alors que la "bataille des observatoires", une succession d’attaques et de contre-attaques, qui ne se font pas sans pertes, se déroule, pour s’assurer le contrôle des points hauts du plateau, comme le monument d’Hurtebise ou l’Epine de Chevregny.
C’est au cours de ces opérations que, le 25 juin, sera prise par les Français la désormais célèbre Caverne du Dragon.
Le point culminant de la bataille interviendra lors de l’attaque lancée le 24 octobre dans le secteur de Laffaux-Chavignon, mais également à l’occasion de la reprise du fort de La Malmaison, au moment même où les Allemands décident de définitivement abandonner le plateau du Chemin des Dames.
Ainsi, ils se replient sur les hauteurs dominant l’Ailette d’où ils lanceront, au printemps 1918, une fulgurante offensive, en direction du Sud, à près de soixante kilomètres de Paris, via Braine, Fère-en-Tardenois, Château-Thierry. Là, où ils seront stoppés, entre autre, grâce à l’héroïsme et à la ténacité des Américains…