L’offensive allemande du 27 mai au 1 juin 1918 dans l’Aisne
(La Marne constitue l’objectif visé par l’opération)
Le Chemin des Dames
L’offensive du Chemin des Dames de 1918 fait suite aux offensives allemandes dans la Somme et en Flandres (Région d’Ypres, vers Arras,…) en avril de la même année…
Malgré de nouvelles tentatives contre la ville d’Amiens, le général Ludendorff avait dès le début d'avril, tout espoir de percer le front français de ce côté-là du champ de bataille.
Un ordre de la XVIIIe armée, trouvé sur un prisonnier allemand, conseillait de détailler les opérations dirigées contre Amiens, cela, déjà avant le 6 avril…
L’importance de l’information fut telle que Foch, après avoir cru un instant à une offensive décisive, sur Calais et sur les ports de la Manche, décida de porter des effectifs plus à l’Est, afin de renforcer les rangs anglais du maréchal Haig…
Les forces allemandes
Depuis le début d'avril, Ludendorff vide la poche d'Amiens.
A cette date, le général Oskar von Hutier disposait encore de 27 divisions ; mais au début de mai, il n'y en avait plus que 14.
En revanche, le front entre l'Oise et Reims, tenu par la VIIe armée du général von Boehm, depuis Chauny, jusqu'à Berry-au-Bac, et, par la Ie armée du général Fritz von Bülow, depuis Berry-au-Bac jusque vers Saint-Souplet, en Champagne, était puissamment renforcé à partir du 19 mai.
En particulier, dans la région comprise entre Chauny et Berry-au-bac, face au Chemin des Dames, se trouvaient massées le 26 mai :
- entre Chauny et Leuilly, sur 20 kilomètres de long, 3 divisions en première ligne et 2 divisions en réserve ;
- entre Leuilly et Berry-au-Bac, sur 45 kilomètres, devant le Chemin des Dames, 15 divisions en première ligne ; 7 divisions en deuxième ligne et 8 divisions en réserve ;
- entre Berry-au-bac et Reims, sur 10 kilomètres, 5 divisions en première ligne ; 1 division en deuxième ligne et 1 division en réserve.
42 divisions, -effectif équivalent à près de 55 div. françaises-, étaient donc réparties sur un front de 75 kilomètres de large, et, particulièrement, 30 divisions sur le front de 45 kilomètres correspondant exactement à celui du Chemin des Dames.
Sur ce terrain se trouvait ainsi une division pour 1.500 mètres, soit en moyenne, 5 combattants, par mètre courant.
Le dispositif contera, outre 2 batteries de 77mm d'accompagnement par 100 mètres de front d'attaque, 180 batteries de contrebatteries, destinées à réduire au silence l'artillerie française.
Tout ce matériel, qui comprend un nombre important de pièces à longue portée, est en place depuis longtemps. Cette configuration facilitera grandement, on le verra plus tard, l'effet de surprise sur lequel l'Allemand pourra compter le jour de l’offensive venu.
Côté allié
De son côté, la VIe armée du général Duchêne est répartie sur un front d'environ 90 kilomètres de longueur.
Les effectifs comprennent :
- le 30e corps d’armée (55e, 19e et 151e divisions d’infanterie ; la 2e division de cavalerie à pied) qui s’étend de l'Oise jusqu'à la voie ferrée Soissons-Laon ;
- le 11e corps d’armée (61e, 21e et 22e divisions d’infanterie) s’étale de cette voie ferrée jusqu’au bois de Vauclerc ;
- le 9e corps britannique quant à lui (5e, 8e et 21e divisions d’infanterie) est disposé du bois de Vauclerc à Reims ; il compte, sur sa droite, la 45e division française.
Derrière le front, se trouvent disponibles en réserve, les 13e, 39e, 74e, et 157e divisions d’infanterie plus la 4e division de cavalerie à pied.
Notons qu’à ce moment précis de la bataille, plusieurs des unités citées sont éreintées ; elles ont été placées là, "dans ce secteur calme", pour se reconstituer ; s’y reposer (!).
La 22e division, la 39e et la 2e division de cavalerie à pied, ainsi que la 45e division ont été fortement éprouvées par les combats de la fin mars.
La 151e division vient, quant à elle, de subir de grosses pertes à Coucy-le-château, les 6, 7 et 8 avril. Les divisions britanniques de leur côté ont combattu déjà, par trois fois, depuis les deux derniers mois écoulés. Ces combattants ont d’ailleurs perdu la moitié de leur effectif ; ils sont à bout de souffle.
Outre cela, 4 divisions "fraîches", pour ce qu'elles n'ont pas dû participer à de violents combats, sont disposées dans ce secteur du front, depuis cinq à six mois. Elles, aussi, auraient grand besoin de se reconstituer physiquement…
Au total, ce sont approximativement 16 divisions, en manque de repos qui stationnent en ces lieux de la ligne du front, face à 42 divisions allemandes. Et, parmi celles-ci, pas n’importe lesquelles, puisqu'y figurent les fleurons de l’armée allemande, tels des éléments du Corps alpin, 4 divisions de la Garde et la légendaire division de Brandebourg.
Le terrain
La position présente tous les avantages entre Ailette et Aisne…
L'Ailette forme le fossé et la forteresse est constituée par un terrain abrupt que barrent des précipices. Outre cela, des creutes (carrières souterraines ou habitations troglodytes en Picardie) immenses permettent de soustraire les troupes au feu de l’artillerie et à la vue de l’ennemi.
La première position de défense comprend : une ligne avancée ; une ligne principale de défense ; une ligne de soutien et une ligne de réduits. Elle est située au pied des pentes, immédiatement derrière l'Ailette.
A six kilomètres en arrière se trouve une position intermédiaire ; une ligne de tranchées qui court à contre-pente, par delà la crête, et, parallèlement au Chemin des Dames ; par conséquent abritée des tirs de l'artillerie.
Au Sud de l'Aisne, qui forme un deuxième et puissant obstacle, une deuxième position est organisée, au pied de laquelle toute attaque, par surprise, depuis la première position aurait à s'écraser dessus.
Malheureusement, pour garder cette région sous contrôle, les moyens en hommes et en matériel sont tout à fait insuffisants.
Chaque corps de l'armée du général Duchêne tient un secteur d'une trentaine de kilomètres.
La 22e division, reconstituée après les combats de la Somme, est devant Craonne, en liaison avec le 9e corps britannique qui couvre Berry-au-Bac et Reims.
Dix mille combattants s’étirent sur un front de 14 kilomètres.
Sur la gauche, la 21e division tient, pour sa part, 11 kilomètres de front.
Ces divisions occupent, de la sorte, la première position de défense, au moyen de la quasi totalité de ses moyens en hommes et munitions. La position intermédiaire est, quant à elle, assurée au moyen de simples garnisons de sûreté, appuyées par quelques compagnies de mitrailleuses.
Etant donné l'étendue du front, la première ligne, en elle-même, n'est pas homogène. Ainsi, elle n’est que simplement tenue par un ensemble de groupes, de sections et de demi-sections installées dans des réduits cerclés de réseaux de fils de fer barbelé, flanqués en profondeur à des distances variables, et, quelques fois, assez conséquentes…
Les défenseurs de ces "îlots" sont équipés d'armes automatiques et de grenades.
Mais, considérant les espaces qui séparent les zones fortifiées, il est évident que la prise d'un seul de ces réduits pourra causer de graves préjudices dans le dispositif de défense français…
L'artillerie, soutien des divisions de première ligne, est installée près des positions intermédiaires. La deuxième position, quant à elle, doit être soutenue par les divisions qui se trouvent au repos, à l’arrière du front, dans la région de Soissons…
Le Haut Commandement allié n'ignore pas la situation, dont la responsabilité ne lui incombe pas, sachant que pour soutenir le front britannique, qui représente au plus fort de la guerre 1/3 du front global, et, qui est sur le point de céder ; il lui a été urgent de dégarnir en hommes l’ensemble du front français.
On sait que pour protéger efficacement les axes vitaux de connections entre Paris et les ports de la Manche, les Alliés avaient dû masser, à toute fin utile, et, de ce côté-là du front, la majeure partie de leurs réserves.
La Champagne, la Lorraine, l'Alsace étaient, tout autant menacées que le Chemin des Dames, alors qu’aussi dégarni en défenseurs…!...
Le Chemin des Dames avait toutefois l'avantage d'offrir, à la défensive, de remarquables positions, susceptibles d’ébranler la confiance que l’ennemi aurait pu encore avoir en ses propres troupes, à ce moment précis de la guerre.
Foch sait à l’instant même qu’il se trouve face à une armée plus imposante et mieux équipée que la sienne, que le temps presse en attendant les renforts américains...
Les préparatifs
De part et d’autre du front, on a conscience de l’imminence d’une grande bataille. Depuis le début du mois de mai, les indices probants se multiplient à la connaissance des états-major.
Les équipements allemands venus du front de l’Est (Russie) continuent d’affluer en même temps que les 40 divisions germaniques assorties d’une partie de l'artillerie autrichienne.
Les secteurs d’Ypres, de Calais, d’Amiens, de Compiègne et de Chalons paraissaient plus particulièrement menacés.
Devant le Chemin des Dames, au contraire, le calme demeura quelque temps profond. Ce fait s'avérera à cause des conditions du secret liées à la préparation de l'attaque et émanant du tout haut commandement allemand lui-même.
Ainsi, et, afin d’être particulièrement discret… six divisions seulement furent transportées par voie ferrée ; vingt autres gagnèrent leurs positions de combat par le biais d’une série de marches de nuit.
Durant le jour, et dès 4 heures du matin, plus aucune colonne ne circula. Les effectifs allemands furent systématiquement abrités durant la journée ; les rues des cantonnements furent tenues désertes, afin de ne point attirer l’attention de guetteurs ou de l’aviation alliés.
Les itinéraires de circulation furent calculés de manière à éviter que deux régiments de brigades différentes ne puissent se croiser ; chaque unité restant, qui plus est, dans l'ignorance absolue de tous mouvements généraux.
De même, les cantonnements furent rigoureusement consignés aux militaires des unités voisines. Ainsi, jamais une localité particulière n'abrita des éléments appartenant à des divisions différenciées.
Les mouvements d'artillerie firent l'objet d'une attention particulière. Toute nuisance sonore fut évitée dans le voisinage immédiat des secteurs d'attaque.
Au sein des batteries amenées à prendre leurs positions de combat, les roues des voitures furent matelassées, les sabots des chevaux enveloppés de chiffons et même, les organes des pièces furent protégées de manière à éviter tous cliquetis métalliques intempestifs.
C’est ainsi qu’au soir du 26 mai, l’ensemble du dispositif fut à pied d’œuvre devant les positions françaises du Chemin des Dames.
Ainsi…, dix divisions allemandes face à la 22e ; six devant la 21e et cinq contre la 61e !
Une chance toutefois pour les Alliés, malgré les minutieuses précautions prises lors des préparatifs germains commencés le 1er mai, certains faits furent éventés dès le 23e jour de ce même mois…
Comme au temps de Verdun, des déserteurs passèrent du côté allié. Ainsi, le général de Maud'huy, commandant le 11e corps, sut de manière précise, le 26 mai à midi, que le Chemin des Dames serait attaqué, dès la nuit suivante, à 3 heures du matin…
La seule surprise ne porterait -"que"- sur les seuls moyens qui seraient mis en œuvre, par les Allemands, afin de percer le front allié…
L’attaque
Le 26 mai, à 17 heures, le général Duchêne alerte la VIe armée.
A 19 heures, le branle-bas de combat est activé en tous lieux des positions alliées.
A partir de 20 heures, l’artillerie de divisions, renforcée par tous les moyens disponibles, exécutent des tirs de harcèlement et de barrage prévus par le plan de défense. Ainsi, l’artillerie fait pleuvoir une pluie de projectiles de tous calibres sur les voies d’accès et les points de passage obligés des positions arrières de l’ennemi.
A la nuit tombante, des détachements allemands tentent de jeter des ponts de fortune sur l’Ailette. Ils sont immédiatement pris à partie par les mitrailleuses françaises ; ainsi, dans un premier temps, ils doivent renoncer à leur projet de franchissement du cours d’eau.
En même temps, le général Duchêne fait occuper la deuxième position, au Sud de l'Aisne, par la 157e division.
Le 27 mai, à 1 heure du matin, l’artillerie allemande déclenche un tir d'une extrême violence sur tout le terrain compris entre les premières lignes françaises et leurs unités d’artillerie, en même temps que les pièces lourdes exécutent un tir d’interdiction puissant afin d’empêcher toute progression allemande en territoire ou zone conquis.
Quatre mille pièces, de tous calibres, hurlent en même temps face à 1.030 canons français réunis à grand peine, et, qui se révèlent très vite insuffisants, malgré l’héroïsme des servants.
L'air empeste des rejets de gaz toxiques ; l’ennemi faisant surtout usage d’obus au gaz chargés d’ypérite.
Les batteries françaises sont, une à une, réduites au silence.
Les réduits de la première ligne sont écrasés, labourés, nivelés ; les mitrailleuses détruites.
A 3 heure 30, la fumée s'est à peine dissipée que les défenseurs survivants, hébétés, voient surgir, dans la semi-obscurité, l’infanterie allemande.
Dès le commencement de la préparation d’artillerie, les régiments de première ligne, ceux devant attaquer, s’étaient amassés à l’avant de leurs tranchées. Là, ils avaient franchi l’Ailette au moyen de passerelles de fortune ; ils étaient venus se rassembler tout près des réseaux de barbelés dans lesquels, à l’abri du feu de leurs canons, ils s’étaient hâtés de pratiquer des brèches à la cisaille.
Les groupes d’éclaireurs allemands emmènent chacun avec eux une compagnie équipée de lance-flammes, de renfort en mitrailleuses, ainsi qu’une batterie d’artillerie.
Les Germains semblent tout submerger sur leur passage, telle la marée.
Cette masse humaine progresse en avant, sans se préoccuper des intervalles qui doivent en principe être conservés, tels que ceux prescrits au règlement, au sein des troupes d’assaut françaises.
La masse humaine se ramifie en une multitude de petites colonnes s’infiltrant, à la façon d'un liquide, partout où elle en a la capacité. Ainsi, par ces voies d’accès cheminent, glissent, se faufilent partout des hommes munis de mitrailleuses, de mitraillettes (pistolets mitrailleur Bergmann), de fusils, de pistolets... formant ainsi un véritable et formidable barrage roulant capable d’une grande puissance de feu mobile...
Quelques îlots français, non atteints par l’artillerie, opposent une résistance farouche et désespérée.
Les braves qui occupent les lieux ne songent guère à se rendre, -le sauraient-ils ?-, avertissant comme ils le peuvent les camarades de l’arrière au moyen de leurs postes émetteurs, de pigeons voyageurs, de fusées...
Ils meurent sur place. Ainsi, pas un seul homme du bataillon Chevalier, du 64e régiment infanterie, ne reviendra de cet enfer.
Les unités de soutien, revêtues de masques, contre-attaquent vigoureusement, poussant jusqu’aux dernières limites l’esprit de sacrifice qui les anime.
Vers 8 heures du matin, les 21e et 22e divisions, dont les premières positions sont submergées, et, dont les réserves sont engagées dans des contre-attaques suicidaires, sont totalement anéanties.
L’ennemi grignote peu à peu, mètre par mètre, centimètre par centimètre, le Chemin des Dames.
Le terrain est disputé pied par pied.
Les généraux Dauvin et Renouard, commandant les 21e et 22e divisions, se retrouvent bientôt seuls à diriger leurs bataillons complètement disloqués, décimés…
Les reliquats des régiments combattent, entremêlés en un bloc uni, sur une seule ligne. Ainsi : la 21e division, le 64e RI, le 93e RI et le 137e RI ; la 22e division, le 19e RI, le 62e RI et le 118e RI rivalisent d’héroïsme.
Cinq colonels sur six sont ensevelis dans leur poste de commandement. Tous les chefs de bataillon de la 22e division sont morts... C’est l’enfer sur terre, l’horreur absolue.
Dès 5 heures du matin, le général de Galembert, commandant la 157e division, qui a pour mission de défendre la deuxième position, reçoit l’ordre d’envoyer 4 bataillons au Nord de l’Aisne, pour appuyer la 22e division.
Mais alors que ces 4 unités ont à peine franchi la rivière, elles tombent sous un feu violent provenant de l’infanterie et de ses mitrailleuses, et, d'un ennemi qui occupe déjà le Chemin des Dames.
Après un bref moment de surprise, ces bataillons se déploient, baïonnette au canon, face aux Allemands ; ils entrent au contact avec eux dans un affrontement bestial…
Anéantis, blessés, ces hommes demeurent sur place, alors que des éléments des 21e et 22e divisions sont repoussés, vers l’Aisne, par un ennemi supérieur en nombre.
A ce moment de la bataille, il ne demeure plus, en deuxième ligne de front et à la défense des ponts sur l’Aisne, que… 4 bataillons de la 157e division, 1 du 214e, 1 du 233e et 2 du 252e…
Vers 10 heures du matin, le 9e corps britannique, ayant été refoulé sur la droite de l’offensive, leur position est enlevée, à revers, via Villers-en-Prayères (PDF ici). Le corps d’armée allemand du général Vichura progresse vers Vailly ; de Pontavert à Reims, toute la ligne de défense française est enlevée, au même titre que le Chemin des Dames.
La VIe division de réserve bavaroise, ainsi que les Ve et VIe divisions ont débordé la forêt de Pinon, en réussissant à s’infiltrer par les ravins de Vauxaillon et de Chavignon. Les troupes allemandes sont parvenues à arracher le Massif de Laffaux, à la 61e division française.
A 11 heures, 12 divisions allemandes bordent l’Aisne depuis Chavonne, jusqu'à Berry-au-Bac et Reims. Le XVe corps, quant à lui, refoule les divisions britanniques.
Vers midi, l’Aisne est franchie par les divisions allemandes et les reliquats du 11e corps français.
Les positions de la deuxième ligne, trop faiblement défendues, sont encerclées et submergées ; et, le soir, à 20 heures, les Allemands ont atteint la ligne Vauxaillon, Vrégny, Braine, Bazoches et Fismes.
Sur un front de 30 kilomètres, ceux-ci ont creusé une poche d’une vingtaine de kilomètres, franchi l’Ailette et l’Aisne. Ils bordent également la Vesle, après avoir annihilé les divisions françaises de première ligne.
De la 22e division, guère d’hommes ont échappé au massacre. A peine y a-t-il là la quantité nécessaire à réunir deux compagnies… à reconstituer au moyen de permissionnaires rentrés le soir, de quelques prisonniers évadés, ainsi que des hommes des convois.
La 21e division a perdu un total de 160 officiers et de 6.000 hommes.
La 157e division ne compte guère plus de 1.200 hommes ; la 61e, à peine 800.
Les fragments des 19e, 62e, 64e, 93e, 137e, 214e, 219e, 252e, 264e, 265e, 333e et 118e régiments d’infanterie, auxquels se sont joints quelques artilleurs des 35e, 236e et 251e régiments de campagne, continuent de tenir tête à l’ennemi, de se battre héroïquement, se disputant le terrain, alors que les batteries demeurent là, faute de servants… le personnel étant soit asphyxié, soit tombé aux mains de l’envahisseur.
La nuit n’arrête pas pour cela la poursuite. Grâce à leur grand nombre, les Allemands arrivent à manœuvrer de façon à disloquer les effectifs du 9e corps britannique et de la 22e division française.
Fort heureusement pour les Français, des auto-canons et des auto-mitrailleuses, du 1er corps de cavalerie arrivent de Fismes. Ainsi, temporairement, cette brèche béante dans le front allié est provisoirement endiguée.
Le 28 mai, à 1 heure du matin, la Xe division allemande franchit le cours d'eau près de Bazoches(-sur-Vesles), à mi-route entre Soissons et Reims (PDF ici) ; elle pousse ensuite son avance en direction des bois de Dôle. La Ve division de la Garde franchit la rivière, à l’Est de Fismes, et marche sur Courville.
Débordés sur leurs deux flancs, attaqués de front par deux divisions, les défenseurs de Fismes se replient vers deux heures du matin.
A midi, toute la ligne de la Vesle est perdue, et, les Allemands, contre lesquels les Français ne peuvent opposer de forces suffisantes, progressent lentement au Sud de la rivière, portant surtout leurs efforts sur les ailes de leur percée, afin d’agrandir la trouée.
Vaine tentative que la leur… En d’autres endroits où se porte l’attaque, comme sur le plateau de Crouy, les deux pivots, que constituent Soissons et Reims, tiennent bon. Fort heureusement, ce jour-là, l’avancée ennemie ne couvre "que" 5 à 6 kilomètres !
Devant la rupture inattendue et "trop aisée" de la première ligne alliée, le Haut Commandement allemand se surprend lui-même quant au fait que la "démonstration" initiale se soit transformée en une opération aussi retentissante dans ses effets…
Après ce coup d’éclat, la plupart des divisions allemandes, considérant comme atteint l’objectif qui leur avait été assigné, s’organisent le 28 au soir, sur les positions conquises.
C’est le moment que choisit l’état-major de Ludendorff' pour s’adresser aux troupes victorieuses…
Le message reprend en substance ce qui suit : Le combat prend désormais le caractère d’une guerre de mouvement, avec poursuite de l’ennemi, de manière rapide et ininterrompue. Aucun répit ne doit être laissé à notre adversaire, même durant la nuit. Ne point s’attendre mutuellement lors des progressions en territoire conquis…
Par le biais d’un communiqué à la presse, les autorités allemandes font état de l’importance des retombées stratégiques liées à la chute du Chemin des Dames. De la valeur morale que peut avoir cette défaite infligée à une armée française ayant à devoir prendre à sa charge l’étendue de la catastrophe militaire, alors que se sachant le pilier central du rempart armé de l’Entente.
On célèbre, côté allemand, la prestigieuse habileté dont a usé un haut commandement qui, non seulement, a su percer le centre du dispositif de la défense de Foch, qui plus est alors que les réserves alliées avaient été savamment attirées en d’autres lieux du front.
L’accent est également mis sur le formidable déplacement de forces, qui a été réalisé dans un secret fermement maintenu.
Pendant ce temps Paris souffre…
Les avions survolent et bombardent la capitale toutes les nuits, alors que les obus des "Pariser Kanone", de 210 mm, s’abattent, toutes les deux ou trois heures, çà et là, sur les habitations parisienne ; pendant que Georges Clemenceau lance en cette période de grande incertitude à la tribune de la Chambre :
"Nous remporterons la victoire si les pouvoirs publics sont à la hauteur de leur tâche. Je me bats devant Paris; je me bats à Paris ; je me bats derrière Paris."
Pénétré d'un imperturbable optimisme, le Président du Conseil s’emploie ainsi à motiver les Français, alors que 600.000 Américains débarquent sur le sol français, et, que bien d’autres arriveront ensuite.
La première armée américaine, forte de 5 divisions, est dépêchée sur secteur.
Elle est commandée par le général Ligget, dont le quartier général est à Neufchâteau.
Six divisions de la 2e armée sont à l’instruction, ainsi que trois divisions de la 3e armée.
Foch demeure serein. Il est convaincu que l'ennemi sera arrêté dès que les réserves auront pu être amenées dans les tranchées. A cet effet, il a fait prendre les mesures nécessaires pour que des troupes fraîches arrivent au plus vite sur le front.
Dans la nuit du 28 au 29, et, devant les progrès réalisés par l'ennemi, le généralissime commandant toutes les armées (Foch), avise le maréchal Haig de la nécessité de dégarnir de quelques divisions françaises le front britannique.
Foch ordonne au général Maistre de rapprocher du front affaibli, 4 divisions de la 10e armée déployées à l’Ouest, sur la côte, dans le Pas-de-Calais. Envoyant ainsi à Montmort le général Micheler, accompagné de l'état-major de la Ve armée, et, enjoignant au général Franchet d'Espérey, commandant le Groupe Armé du Nord (G.A.N.), d’assurer le commandement d'un groupe de 6 divisions destinées à tenir solidement la Montagne de Reims. Durant ce temps, les Américains seraient appelés en réserve sur la Marne...
Le Général Pétain aurait, quant à lui, en charge l'organisation d'une ligne de défense jalonnée des points suivants : La Crise, les hauteurs du Grand-Rozoy, Arcy-Sainte-Restitue et les mamelons du Tardenois, sur lesquels Ie corps d'armée (gauche) et le 210e corps (droite) auraient à recueillir, et, à encadrer, les éléments des 30e et 11e corps "disloqués".
Le 29 mai, au matin, les Allemands poursuivent leur offensive forts de leur succès.
On se bat dans Soissons.
Le général Micheler, dépêché à Cumières, improvise un front entre Arcy-le-Ponsard et Prunay, où il arrête net l'ennemi devant les faubourgs de Reims.
Le général Maud'huy se bat âprement aux abords de la forêt de Villers-Cotterêts avec ce qui demeure du 11e corps.
Au soir du 29, alors qu’ils tiennent Soissons en flammes, les Allemands ont surtout progressé vers le Sud, ayant enlevé Fère-en-Tardenois et franchi l'Ourcq, mais encore, poussé le gros de leurs troupes jusqu'à 5 kilomètres de la Marne.
Fort heureusement pour les Français, tant les hauteurs de Chaudun que les abords de Reims tiennent ; la poche de résistance prend l'aspect d'un triangle dont un des sommets s'allonge vers Jaulgonne (PDF ici), au Nord-Est de Château-Thierry, en bord de Marne.
Le danger se trouve à présent sur la Marne.
Foch prévient Douglas Haigh qu'il va appeler la Xe armée à intervenir dans la forêt de Villers-Cotterêts ; qu'il aura probablement recours à des renforts britanniques ; que les effectifs commandés par le général Debeney seront à coup sûr affaiblis et qu’il demandera du support de la part des Anglais.
Foch ordonne à l'armée belge de prendre à son compte une partie du front britannique et de se déployer jusqu'à Ypres.
Ces dispositions ne pouvant être effectives plus tôt, le 27, la IIe armée britannique et le G.A.N. sont une nouvelle fois violemment attaqués, après une puissante préparation d'artillerie présageant une opération de grande envergure.
Pas même en Belgique le front avait résisté sans fléchir. La ligne de défense n'avait pas réussi à s'accrocher à l'Eclusette, à l'extrémité nord de l'étang de Dickebush (Dikkenbus en 1914) en Flandres, dans le secteur de Ypres-Dixmude…
Le 30 mai, deux nouvelles divisions allemandes, les 103e et 231e, viennent appuyer les colonnes qui se dirigent maintenant vers la Marne. C’est à 14 heures que la 231e division atteint la Marne, précisément entre Brasles et Mont-Saint-Père (PDF ici). La 28e atteint, quant à elle, Jaulgonne, à 18 heures. Hélas pour elle, les ponts sur la Marne sont détruits.
Plus à l’Ouest, la progression est moins aisée. Les trois divisions du corps Winkler s'emparent de Vierzy et d'Oulchy-le-Château, non sans pertes sensibles…
A l'Est, le corps Schmettow et l'Armée du général von Bülow sont à l’arrêt devant Verneuil et Ville-en-Tardenois (PDF ici). La soldatesque allemande n’arrive pas à enfoncer le rempart de détermination dont font preuve les défenseurs de Reims. Le 31 mai, le général Ludendorff appelle de nouvelles divisions à la rescousse. Il intensifie également ses efforts sur une ligne de progression d’Est en Ouest, afin d’élargir la poche trop restreinte qu’occupent ses hommes sur la Marne.
La 28e division allemande est appelée à renforcer la division de la Garde, vers Longpont (PDF ici). La 232e division se porte, quant à elle, sur Château-Thierry.
Les Français, Maud'huy en tête, contre-attaquent héroïquement sur Chaudui et reprennent ainsi cette localité à l'ennemi.
Le général Robillot enraie la poussée des Allemands qui, maîtres de Neuilly-Saint-Front, étaient parvenus à infiltrer la vallée de l'Ourcq.
Cette lutte acharnée absorbe énormément d’énergie du côté allemand.
Ludendorff ne dispose plus à présent que de six divisions, s’il ne veut dégarnir d’autres secteurs.
Un conseil de guerre se tient ce jour-là à Fismes sous la présidence de l'Empereur lui-même.
Il est décidé alors que les six divisions en question seront bel et bien lancées dans la fournaise.
Le 1er juin, un ordre (laconique) est adressé aux soldats allemands. Contenu selon lequel pour l'Empereur et pour le maréchal Hindenburg, l'offensive sera poursuivie non pas vers le Sud, -cette rivière constituant un rempart naturel-, mais bien entre Château-Thierry et Dormans. A cet endroit-là, une tête de pont sur la rive gauche facilitera(it) une progression ultérieure…
Deux axes seront choisis : à l’Est, contre Reims ; à l'Ouest en direction du massif forestier de Compiègne et vers Villers-Cotterêts (PDF ici), au sud-est de celui-ci.
L'attaque de ce massif nécessitera deux opérations simultanées : l'une partant de l'Est contre Villers-Cotterêts et l'autre portant vers le Nord, contre Compiègne : le but de la manœuvre étant d'encercler les forces françaises, évidemment massées là pour bloquer la route de Paris et/ou de les obliger à faire retraite sur la capitale...
L’offensive vers Compiègne aura lieu du 1er au 12 juin 1918…
PDF "1918 : l'année de la victoire ; juin 1918 : la relance des offensives allemandes ; auteur inconnu" : ici PDF "1918 : l'engagement de la 2e D.I.-U.S.; Le Thiolet" ; auteur inconnu" : ici