Lettre du caporal Paul Henri Floch à son épouse...
"Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.
Voici pourquoi : le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre.
Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple.
Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans.
Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine.
Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre…
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je vais me confesser à l’instant, et espère te revoir dans un monde meilleur.
Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché.
Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve.
C’est la fatalité.
Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout."
Henry Floch
* * *
Les faits
Le 27 novembre 1914, le 298e régiment d’infanterie prend position devant le village de Vingré, dans l'Aisne.
Après une préparation d'artillerie qui retourne une partie de leur tranchée, les soldats du 298e RI sont surpris par une attaque allemande.
Les Allemands enlèvent un poste de 1ère ligne et font prisonnier la dizaine d’hommes qui l’occupent.
Deux autres escouades (24 hommes), menacées, refluent vers l’abri du chef de section, le sous-lieutenant Paulaud, qui donne l’ordre de repli.
Le bombardement terminé, elle retourne dans la tranchée conquise par les Allemands et les en déloge, reprenant ainsi le contrôle de la position.
A l'issue de cette escarmouche, des soldats du 298e sont faits prisonniers par les Allemands.
Le commandant de compagnie, le lieutenant Paupier, reproche au sous-lieutenant Paulaud d’avoir abandonné son poste et lui ordonne de ramener ses hommes en première ligne.
Lors de l'enquête sommaire qui donna suite à l'évènement, les soldats indiquèrent avoir reculé sur ordre du sous-lieutenant Paulaud, et de s’être repliés dans une tranchée à l’arrière de la position où l’attaque allemande s'était déroulée.
Le sous-lieutenant Paulaud soutient ne pas avoir donné cet ordre de repli. Par ailleurs, il accabla les 24 soldats.
Plus tard, lors du procès en révision des six fusillés, il s'avèrera que ce dernier aurait passé sous silence son ordre de repli...
Le général de Villaret, commandant le corps d’armée, décide de faire un exemple.
Il envisagera dans un premier temps de faire fusiller les hommes des deux escouades qui exécutèrent le repli.
Suite à l’intervention de divers officiers, le nombre des suppliciés est réduit à six hommes.
Le 3 décembre, un conseil de guerre spécial désigne, par tirage au sort, 6 hommes parmi les 24 incriminés, pour être fusillés pour l'exemple.
C'est dans ce contexte que sont désignés... le caporal Floch, les soldats Gay, Pettelet, Quinaud, Blanchard et Durantet.
Le 4 décembre 1914, sur ordre du général Etienne de Villaret, les soldats sont passés par les armes au motif d'exemple à ne pas suivre, dans le respect à l'autorité.
En février 1919, les veuves des soldats Blanchard et Durantet, deux des six fusillés, entreprirent les premières démarches pour la réhabilitation de leurs conjoints en écrivant au docteur Laurent, député de Roanne.
C’est toutefois grâce à la détermination et à l’acharnement de Claudius Lafloque, un ancien du 298e RI, que la requête finit par aboutir.
En effet, plusieurs échanges de correspondances avec le ministère de la Justice et l'obtention de nombreux témoignages mettant en accusation directement le sous-lieutenant Paulaud permirent aux requérants d'obtenir gain de cause.
Sous la pression, l'autorité publique finit par accepter la révision du procès.
Du 30 novembre au 1er décembre 1920, une audience se tint devant la Cour de Cassation.
Le 29 janvier 1921 un verdict tomba en faveur des plaignants.
Le jugement du 4 décembre 1914 rétablit les fusillés dans leur honneur et les familles dans la pleine jouissance de leurs droits, en ce compris pour le paiement des arriérés de pension, depuis décembre 1914.
L'arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 1921 est consultable au Journal Officiel daté du 18 février 1921.
A propos des condamnations à mort de militaires durant le Premier Conflit mondial : ici
Historique du 298e RI. En relation avec la date des exécusions, notons que rien n'apparaît à propos des soldats fusillés, en page 11 du document : ici