Par Joël de Biolley, son petit-fils
Mai 2016
Doux souvenirs d'un casque ayant appartenu à un singulier poilu…
Eclairé d’un côté, au soleil de midi, chauffé à l’autre face par le chat endormi, roulé sur la visière ; trône vaillant, fier et altier, le casque d’un poilu, posé depuis toujours sur la dresse du salon, présidant la famille à chaque réunion, ou veillant du haut de son assise, sur ceux qui, au milieu de l’heure de la sieste, somnolent auprès de lui dans le fond du sofa.
C’est dans ce doux moment, les yeux mi-clos, dans un demi-sommeil, que l’on croirait entendre, revenues d’un autre temps, se murmurant discrètement sous le casque, quelques mesures de cette chanson de marche : "… As-tu vu la casquette, la casquette ? … As-tu vu la casquette du Père Bugeaud… ?"
Elle passe d’un ton joyeux, suivie parfois d’autres mélodies, un peu plus "militaires", quelque peu plus martiales, moins "civiles"...!
Mais à qui donc a bien pu appartenir cette relique ?
Et si c'était à ce grand-père, qu'on devait de nous avoir légué cet émouvant souvenir ?
... Si fier était-il, de porter un casque arborant ses initiales "RF" (République Française)…!
Ainsi, qui donc était René Feuiltaine, puisque c'est bien de lui qu'il s'agit ?
D’origine alsacienne, petit-fils d’un "Optant" qui avait refusé de demeurer en Alsace devenue germanique en 1870, René naît à Paris, en 1894.
Après de brillantes études en Suisse, et un stage réalisé au Danemark, René est surpris, à l’aube de ses 20 ans, par le déclenchement de la Grande Guerre.
Pressé de répondre à l’appel de son pays, il rejoint, en toute hâte, le 56e régiment d’infanterie, au sein duquel il sera affecté à un poste d’estafette motocycliste.
Courageux combattant, patriote convaincu, René servira la France durant tout le temps du conflit, avec audace et vaillance.
Après maints exploits, récompensés d’un Croix de Guerre, et d’une citation à l’ordre du jour de l’armée ; un matin, dans le feu de la bataille, en compagnie de ses frères d’armes, il s’empara (dans la Marne ?) d’un nid de mitrailleuse allemand, dont il emportera l’arme, la démontera et la conservera chez lui, en guise de "souvenir de guerre"…
Par après, en 1940, il se portera volontaire, prêt à envahir l’Allemagne à lui seul, accompagné de son chien Youky.
Mais hélas, la fortune ne sera pas au rendez-vous...
Mais revenons-en à la période 1914-1918...
Début 1916, affecté à Verdun avec ses valeureux compagnons, il subit les assauts furieux de la barbarie teutonne, faisant vibrer le sol jusqu’à la capitale, levant au crépuscule, à l’Est de Paris, un halo lumineux, rouge de flammes et de sang, à l'image de la plaine de Waterloo bouillonnant dans le feu, à la manière d'une urne trop pleine, ainsi décrite par Victor Hugo.
Verdun faillit lui être funeste.
Elle fut par ailleurs la source inspiratrice de celui qui écrira un mini mémoire.
Gazé en 1917, gravement atteint lors de l’explosion du tunnel ferroviaire de Tavannes (4 sept. 1916, vers 21h15), où il se trouvait avec d'autres compagnons d'infortune (plus de 500 morts), René fut évacué, blessé, sur un hôpital militaire.
C'est là qu'il fera la connaissance de celle qu’il épousera en 1919, sa "marraine de guerre", notre adorable grand-mère, Henriette, une Belge, infirmière volontaire et en service auprès d'hôpitaux militaires.
C'est par ailleurs également elle qui reçut personnellement l’ordre, du médecin major, de s’occuper particulièrement de René, blessé.
Ensemble, ces amoureux auront deux filles, dont une, hélas, mourra précocement à l'âge de onze ans.
Tous deux ne se remettront jamais vraiment de ce décès.
Henriette veillera sur son militaire, toute sa vie durant, jusqu’au décès de ce dernier, en 1972.
C'est dans ces circonstances, après avoir subi des années de souffrance liée à ses séquelles de la guerre, que René confiera son épouse à sa fille aînée, et à ses deux petits-fils.
René fut pour tous les siens, le héros, l’inoubliable "Ancêtre de Verdun".
Il fut également, aux dires de ses proches, un éducateur rigoureux, doté d’une rare érudition... un être taillé dans un bois dont on ne fait hélas plus guère d'hommes aujourd’hui...
"Verdun, on ne passe pas !"
Une maxime qui lui ressemble tellement !
Eléments historiques se rapportant au 56e RI : ICI