Alors que les Américains ont mis le pied sur le territoire français depuis la mi-1917, des hommes de la 77e DI arrivent par Florent-en-Argonne, bourgade située au Nord-Est de Ste-Menehould (Marne), à hauteur et à une trentaine de kilomètres à l'Ouest de Verdun. C'est là-bas que, dans un premier temps, ils se positionneront, pour ensuite infiltrer la forêt avoisinante, et en chasser l'envahisseur.
C'est également en ce lieu du Nord-Est de la France que ces hommes auront rendez-vous avec l'Histoire. Plusieurs soldats obtiendront, pour leurs faits d'armes, les plus hautes distinctions militaires américaines.
Jusqu'à la prise de Grandpré, dans le Vouzinois, les Américains sont soumis à de rudes combats. La première phase de progression est destinée à occuper un saillant d'une douzaine de kilomètres, sur le front de la ligne Hindenburg. Le premier choc s'opère dans le secteur de Binarville, à l'Ouest de Varennes-en-Argonne, là où les réseaux de tranchées allemandes sont impressionnants en nombre et en qualité. Les Américains conquièrent des positions adverses et semblent réconfortés par la présence de stocks, entre autre, de bouteilles d'eau minérale pétillante dont les Allemands sont friands. Le répit sera toutefois de courte durée… Dès le 27 septembre, les soldats US sont soumis à de terribles contre-offensives ennemies qui déciment leurs rangs. La situation deviendra surtout périlleuse en raison d'un manque régulier de ravitaillement, lié à une certaine désorganisation de la part des Américains, placés, il faut le rappeler, sous autorité alliée et fortement dépendants des Français.
Convoqués à son QG, le major Whittlesey, qui est à la tête du 308e bataillon d'infanterie, formé à partir des éléments du 307e, reçoit l'ordre de prendre position au Moulin de Charlevaux (ici PDF) ; lieu même où passera à la postérité l'histoire de l'héroïque "Bataillon perdu"... Les plans de la bataille…
Les soldats doivent dans un premier temps atteindre les flancs du ruisseau de Charlevaux ; ensuite, prendre position près de la route qui conduit vers le moulin. La conquête de la position est impérative pour le commandement US ; il devra s'opérer pour le 2 octobre…
A cet effet, et, après un tir de barrage assuré par l'artillerie de campagne, Whittlesey et ses hommes montent à l'assaut, alors qu'ils sont accompagnés par des sections d'armes automatiques (mitrailleuses légères Chauchat et lourdes, Hotchkiss). L'attaque n'est guère concluante ; l'adversaire parvient à repousser les Américains.
Cette tentative initiale de percement du dispositif allemand confirme le fait que l'ennemi a renforcé ses positions, et, qu'il tient à conserver cette portion du front. Le général US, Alexander, s'obstine à vouloir conquérir la zone.
Ce pourquoi il ordonne un second assaut…
C'est ainsi que pas moins de sept cents soldats US s'élancent, et, malgré de lourdes pertes, arrivent à faire une trentaine de prisonniers, tout en parvenant à occuper une petite ravine au Sud du Moulin de Charlevaux, non loin de la route Binarville-Apremont. Ce faisant, les Américains fixent la zone, en disposant leurs mitrailleuses aux alentours des positions conquises.
Le 3 octobre, Whittlesey dépêche plusieurs estafettes, afin d'informer son QG du fait qu'il est sur le point d'être encerclé par l'ennemi.
Les autres unités du dispositif, qui compte au total pas moins de 20.000 hommes, n'ont pas réussi à progresser de manière aussi fulgurante.
Whittlesey mesure que son unité risque d'être anéantie, après encerclement. Aussi, envoie-t-il un premier pigeon voyageur, alors que l'artillerie française les pilonne, après s'être attaquée aux positions allemandes. A l'arrière, la situation est jugée inquiétante même si le "Bataillon perdu" réussit, en fin de matinée, à recevoir un renfort inattendu, de 150 hommes, dirigés par le lieutenant Holdermann.
Sur place, il est impossible d'évacuer les blessés et le manque de nourriture et d'eau se fait sentir terriblement, tandis que la gestion des munitions exige un juste emploi du stock disponible. Le moment est venu pour Whittlesey de faire lâcher un second pigeon, alors que sa situation se dégrade.
Dans l'après-midi du 4, l'étau allemand se resserre sur la 308e. Les Allemands lancent une violente attaque contre la poche américaine en mitraillant les positions en tous sens. La riposte US s'avère de plus en plus difficile, toutefois, les Américains conservent, au prix de grands sacrifices, l'ensemble des points d'appuis qui leur maintient acquise la position forestière.
Si en fin d'après-midi, les Américains obtiennent un moment de répit, lorsque leur artillerie martèle la crête tenue par les Allemands. Ce n'est que partie remise. Whittlesey expédie son dernier pigeon dans le but d'obtenir de son artillerie qu'on allonge un tir qui commence à s'abattre sur ses propres sections, peu protégées, très partiellement enterrées…
Le 5, à l'aube, l'aviation a pour mission de rechercher "le Bataillon perdu". Le relief accidenté et la végétation ne faciliteront guère la tâche.
Le 6, des appareils de la 50e US parviennent à larguer, pour la toute première fois de l'Histoire, à larguer des colis depuis les airs. L'espoir tient du miracle qu'ils tombent au sol côté US ; l'expédition se révèlera vaine. En fin de journée, les dernières munitions sont épuisées.
Le 7, les Allemands essaient d'obtenir la reddition des Américains en forçant un de leurs prisonniers à jouer les médiateurs ; cela, dans le but d'obtenir la reddition du groupe tout entier…
Pour le commandant major Whittlesey, la réponse est claire : les Allemands peuvent "aller au diable !".
Les Américains ne tomberont pas tous à l'ennemi, certains seront sauvés in extremis par des renforts…
La littérature et le cinéma se sont appropriés le récit et les exploits de cette unité US qui perdit pas moins de 60% de ses effectifs engagés initialement dans ces combats d'Argonne de la fin 1918…