La bataille de Guise eut lieu le 28 août 1914. Elle opposa les Français aux Allemands, dans le Nord du département de l'Aisne (
ici
).
Bref rappel historique...
Le dispositif français d'attaque contre l'Empire allemand, le plan XVII, suppose que les premiers affrontements se produiront le long de la frontière franco-allemande de 1871, en Lorraine..., dans les Vosges et en Alsace, à l'extrême Nord-Est de la France.
Une variante de ce plan d'attaque prévoit, côté germain, en sens opposé, une pénétration possible des forces prussiennes via la Belgique et le Luxembourg, en direction de Paris (plan Schliffen de 1905).
Le 2 août 1914, les Allemands traversent le Luxembourg ; deux jours plus tard, c'est au tour de la Belgique d'être envahie.
Le général Lanrezac comprend très vite la faiblesse du plan XVII, un dispositif offensif que Joffre, en sa qualité de chef des armées, s'efforce de mettre en oeuvre à partir du 2 août. Alors que ce même "patron" des armées françaises porte une partie de ses hommes à la rencontre des troupes allemandes à Dinant, en vallée mosane.
Face aux Français, se trouvent les 1ère armée de von Kluck et 2e de von Bulow.
Lors des premiers combats, la 2e armée de Ruffey et celle de de Cary, la 4e, enregistrent une sévère défaite qui s'accompagne de nombreuses pertes.
Le flanc droit de l’armée de Lanrezac se trouve affaibli, et, afin de ne pas être encerclées, les troupes rompent les combats, pour se retirer sur l'axe Avesnes-Rocroi.
Le plan XVII a révélé toute l'étendue de sa faiblesse.
Des 21 au 23, 24... août ont lieu, en Belgique, les sanglantes batailles de Namur, Charleroi et de Rossignol-Virton..., en province du Luxembourg.
En août 14, une profonde antipathie existe entre le maréchal French, le commandant du 1er corps d’armée anglais, et le général Lanrezac.
French refuse d’engager ses troupes en temps utile et place Lanrezac en difficulté. Ensuite, c’est au tour de Lanrezac de décrocher sans qu'il en avertisse French.
Les Anglais menacent le commandant des troupes françaises de se retirer sur Le Havre et Rouen...
Le 27 août, le principal souci de Joffre consiste à maintenir la cohésion du flanc gauche de son armée, côté britannique.
Au soir du 27 août 1914, alors que l'arrière-garde britannique s'est battue le jour même à Etreux (
ici
), à un jet de pierre de Guise, la 5e Armée française se trouve pointant vers le Nord, menacée sur ses deux flancs.
A ce moment des combats, Lanrezac envisage déjà l’éventualité d’une retraite sur Laon pour le 28, quand le colonel Alexandre, du GQG, vient lui intimer l’ordre de Joffre de porter une offensive risquée sur Saint-Quentin.
L’armée fait face au Nord et c’est en direction de l’Ouest qu’on l'oblige d'attaquer Saint-Quentin (
ici
), une ville de plus déjà aux mains des Allemands...
Lanrezac n’a pas le temps de préparer son changement de direction pour orienter ses forces vers le nouvel objectif qui lui semble déjà être assailli par les colonnes allemandes d'avant-garde ; des éléments déjà signalés au Nord de l’Oise.
Dès lors, pour les Français, l'objectif majeur consiste, primo, à retarder la marche de l’ennemi, secundo, à dégager l’armée anglaise épuisée, et, in fine, de permettre à la 6e armée de Maunoury de monter en ligne, tout en donnant au restant de l'armée le temps de se ressaisir, afin de se tenir prêt à batailler sur les positions fixées le 25 août.
Lanrezac reçoit l’ordre de poindre vers le Nord. Il n'est pas favorable à cette décision, persuadé que les Allemands s'apprêtent à attaquer à Guise.
Durant la journée du 27 Août, le 228e RI (p.8
ici
) se déploie de la manière suivante...
Le premier bataillon se poste à Flavigny (
ici
), à l'Est de Guise, alors que le cinquième bataillon prend position dans Guise, avec une compagnie installée au Familistère, une autre campée au pont de fer, et une dernière accrochée au grand pont.
Aux environs de 18h30, Guise est évacuée. Sur les 7.500 habitants, il ne demeure plus que 500 personnes dans la localité.
Sous la pression de Joffre, Lanrezac donne l'ordre d'attaquer en direction de Saint-Quentin.
Le 28 au matin, à la surprise de Joffre, les Allemands attaquent Guise..., donnant ainsi raison à un Lanrezac plusieurs fois entré en conflit avec son chef.
Dans Guise, le 228e RI fait face aux Allemands dans des combats de rue.
Les Fançais doivent finalement se replier par diverses issues. Ainsi : la rue Camille Desmoulins, la rue Chantraine, le jeu de paume.
Au total, l'unité perd 151 hommes sur un effectif total de 217, près de trois-quarts sur l'ensemble.
Un civil de Guise raconte...
"Au lever du jour les hauteurs de la ville, lesquelles forment le fer à cheval, étaient garnies de pièces de canon, et on cite le "clos gosse" au-dessus des fermes de Robbé, où les Anglais s’étaient établis pour surveiller la route d’Hirson (
ici
), par où il fallait s’attendre à voir déboucher l'ennemi. La première ligne d’infanterie, la plus exposée, avait pris place tant aux abords du Familistère (
ici
), derrière les arbres, que dans les greniers de la cité. C’est même de là que partirent les premiers coups de fusils sur quatre Uhlans venus en reconnaissance, tuant l’un d’eux et son cheval. Fixés sur les intentions que les Français avaient de défendre la ville, les Allemands surgirent en masse d’Etreux, et de Villers les Guise, et aussitôt engagèrent l’action. Il était dix heures et demie. Les rues furent criblées de balles et d’obus, tirés de part et d’autre. Les combattants tombaient sans se voir presque. Sur la place du Familistère, on a relevé dix sept Allemands, deux Français et un Anglais. Les deux Français sont enterrés derrière la cité, au bord de l’Oise." Cependant, nos soldats tenaient bon. Les maisons étaient disputées une à une. Une maison de la rue Sadi Carnot fut le théâtre de combats acharnés entre un Turc et sept Allemands qui finirent par trouver la mort. Sur la place d’armes, un bataillon du 228e de ligne se montra admirable d’ardeur et de courage. Menacé de face par une mitrailleuse allemande qui était braquée du côté du Familistère, il résista à l’attaque et ne se retira qu’après trois-quarts d’heure d’une lutte inégale. Cette belle défaillance livrait la ville à l’ennemi, mais la bataille n’allait pas moins continuer sur les hauteurs, nourrie par une canonnade incessante et terrifiante. Le nombre de coups de canon tirés ce jour-là a été évalué à dix mille. Alors, le pillage des maisons commença. Chez Monsieur Clément, quincaillier, les Allemands pendirent un vieillard, exigeant qu’il leur livra des clés qu’il n’avait pas, celles du coffre fort. A l’hospice, ils chassèrent les soeurs, les malades et les vieillards pour y mettre leurs blessés. Ailleurs, ils terrorisèrent les habitants en les plaçant devant des murs, comme pour les passer par les armes. Il leur restait à mettre le feu. A quatre heures et demie, le Familistère commençait à flamber et, le jour couché, ils s’en prirent à la rue Camille Desmoulins. "Nous allons fumer la ville, dit un officier à un habitant. Allez vous-en !" La nuit, ce fut terrifiant. On eut dit que toute la ville flambait, et des fenêtres de son logement, von Bulow contemplait ce spectacle avec la satisfaction d’un barbare."
A l’Est de Guise, la garde (unité d'élite allemande) est stoppée à Proisy, surprise de rencontrer pareille résistance de la part des Français.
Le 29 août au matin, la bataille s’engage à nouveau. Le 28e corps, commandé par le Général Mallatrie, attaque dès 6h00 en débouchant sur la rive droite de l’Oise.
A 7h00, Lanrezac constate la défection des Anglais et opère leur remplacement par le 4e groupe de divisions de réserve du Général Valbrègue.
Saint-Quentin est désigné comme objectif principal.
Le 18e corps d’armée est stoppé.
La 36e division d’infanterie se replie.
A la nuit, le 18e corps d’armée repasse l’Oise, tout en tenant position sur les ponts.
Un lieutenant mitrailleur du 48e RI raconte*1 (historique
ici
)...
"Le samedi 29, le 48e s’est battu près de Guise, à Le Sourd.
C’est une nouvelle hécatombe : dix sept autres officiers sont tués ou blessés. Le lendemain, je reste sous un feu d’artillerie pendant plus d’une demi-heure, sans être touché. Plus de cent obus éclatent dans un rayon de soixante mètres autour de nous.
Le 29, j’ai pu tirer huit mille cartouches de mitrailleuse à en voir les bons effets… Quelle âpre joie ! J’ai été légèrement blessé d’une balle de schrapnell au coude droit. Cela ne m’a presque pas gêné. C’est presque fermé. Dimanche soir, nous restions comme combattants de l’active : deux commandants, deux capitaines, deux lieutenants (Boyer et moi).
Trente quatre étaient tombés sur cinquante trois. Au milieu de ce feu infernal, on est lucide et calme, on pense froidement à ce qui vous attend, à la maisonnée qui ne vous reverra plus et on souffre affreusement, puis quand c’est fini, quand les derniers obus s’éloignent et que le feu s’éteint, on se dit que c’est reculer pour mieux sauter et que ce sera pour les jours suivants."
La contre-attaque...
Vers midi, le 29, le général Franchet d’Esperey, avec le 1er corps d’armée, est autorisé à engager ses troupes, en liaison avec les 3e et 10e corps.
A ce moment des hostilités, en tout début de guerre, les combats cessent à la nuit tombée...
Le 29 août, le soleil se couche aux environs de 18h30, alors que le crépuscule s’étend jusque vers 21h15.
Franchet d’Esperey, fait prolonger sa préparation d’artillerie.
Sous une avalanche d’obus, en direction du Nord-Ouest, la ferme de Bertaignemont flambe.
Au Nord, des meules de paille sont en feu.
Au Nord-Est, Clanlieu, Audigny, commencent à être la proie des flammes.
Franchet d’Esperey rejoint alors le général Pétain qui commande la 4e brigade, soit un corps de régiment : plus ou moins 1.000 hommes.
La préparation d’artillerie ne parvient pas à totalement détruire l’artillerie ennemie.
A 21h00 l’ennemi est refoulé. Les Français atteignent Canlieu et prennent contact avec le 10e corps.
Le 30, le mouvement est étendu en direction de Guise.
A droite de la 5e armée française, c’est la 3e armée allemande de von Hausen qui est arrêtée par la 4e armée de Langle de Cary.
Pendant ce temps, les anglais continuent leur repli, pour enfin parvenir à franchir l’Aisne dans la région du Chemin des Dames.
Le 30 au matin, le général Lanrezac, soucieux de ne plus à devoir se replier, comme il l'avait fait à Charleroi, prend la route de Guise.
Les Allemands refusent le combat et repassent l’Oise.
A 7h00, Lanrezac reçoit de Joffre, un message sensé lui avoir été remis la veille...
Cet ordre lui intime de décrocher et de se replier en deçà de la Serre.
Le communiqué officiel du 29 août au soir informera du fait que : "Sur notre aile gauche, une véritable bataille a été menée par quatre de nos corps d’armée. La droite de ces quatre corps, prenant l’offensive, a repoussé sur Guise et à l’Est une attaque conduite par le Xe corps allemand et la garde, forces qui ont subi des pertes considérables.
La gauche a été moins chanceuse : les forces allemandes progressent en direction de La Fère (
ici
)."
Ultérieurement, un télégramme officiel anglais donnera sur cette journée les détails suivants : "Depuis la bataille de Cambrai, la 7e armée française est entrée en opération sur notre gauche, unie à la 5e armée sur notre droite. Elle a beaucoup contribué à délivrer nos hommes de l’effort et de la pression exercés sur eux. La 5e armée française, en particulier, avança le 29 août de la ligne de l’Oise pour s’opposer au mouvement en avant des Allemands, et une bataille considérable s’engagea au sud de Guise. Dans cette rencontre, l’armée française obtint un succès marqué et solide, repoussant en désordre et avec de fortes pertes trois corps allemands, le Xe, la garde et un corps de réserve. En dépit de ce succès, cependant, et malgré les avantages qui en résultaient, la retraite générale vers le Sud a continué, et l’armée allemande, poursuivant avec persistance les troupes britanniques, est restée pratiquement en contact avec notre arrière-garde."
Au plan global de la guerre, le commandement en chef de l’armée française aurait souhaité que la bataille de Guise constitue un arrêt définitif de la progression allemande.
Cet objectif ambitieux ne fut pas atteint, comme on le sait.
On peut toutefois analyser et décomposer cette bataille sous deux volets...
Le premier ayant pour cadre la rive Ouest de l’Oise, qualifiée par les Allemands comme étant la victoire de Saint-Quentin.
Le second, qui eut pour cadre le Sud de Guise, et, qui fut incontestablement une victoire française.
On regrettera que la contre-attaque française du 30 au matin ait dû être arrêtée dans son élan, alors que 9.000 Allemands tombèrent durant cette bataille. Leurs corps reposent dans les cimetières militaires de la région de Guise, Le Sourd, La Désolation et Colonfay.
Les violents combats de la fin août firent beaucoup de morts. Nombreux furent les corps non identifiés, car déchiquetés par les tirs de l'artillerie.
La bataille de Guise constitue un premier coup d’arrêt de la progression allemande, qui permit aux armées, et, en particulier aux troupes anglaises du Maréchal French de se replier en bon ordre, tout en retrouvant un moral qui leur avait été ôté depuis les combats livrés à Mons, et durant la retraite engagée depuis le sol belge, via le Cateau-Cambrésis.
La 6e armée française, nouvellement créée, put également se soustraire de l’étreinte de la 1ère armée allemande de von Kluck.
L'Allemand sera contraint d’infléchir la direction de son avance vers le Sud, dégarnissant et étirant son flanc droit, ce qui constituera le prélude à la (première) bataille de la Marne, quelques jours plus tard, le 6 septembre...
Le général Besson, alors jeune capitaine et officier d’ordonnance de Lanrezac, dira, au sujet de l’importance de cette bataille : "J’ai vécu, en août 1914, les heures tragiques de cette longue retraite depuis Charleroi pendant laquelle nous n’avons échappé à l’étreinte allemande que grâce à la vigilance du général Lanrezac. Il est exact d’affirmer qu’il fut le principal artisan trop méconnu, hélas, de notre redressement initial et sans sa bataille de Guise, la victoire de la Marne n’aurait pas été possible."
Notons, au passage, que, malgré ses faits d'armes, Lanrezac sera privé de commandement en septembre 1914...
En ce qui concerne la ville de Guise...
A Guise, les dégâts causés à la ville seront conséquents.
A ce propos, voici le témoignage d’un évacué qui vient de regagner sa municipalité après les combats qui y eurent lieu...: "Ce ne sont que vestiges de carnage, de tuerie, de bidons, armements tordus, chevaux tués. Plus loin, des tertres, encore des tertres, où reposent Français et Allemands. Le fort incendié, le toit démoli, les maisons en ruine, le Familistère détruit. Sur la place d’armes, une horreur : la statue de Camille Desmoulins est coiffée d’un casque de prussien et arbore un drapeau allemand."
Guise sera frappée d’une amende de cinq francs par habitant, soit trente sept mille cinq cents francs. Toutes les localités de la vallée de l’Oise, depuis Etreaupont (
ici
) jusqu’à Ribemont (
ici
), souffriront cruellement.
Les villages d’Audigny, Puisieux, Sains-Richaumont, Le Sourd, Colonfay (
ici
) seront durement éprouvés également.
A cette date, le donjon du château n’a pas encore souffert.
Il ne sera détruit que lors des bombardements à venir, en 1918.
Plus d'information concernant les combats à Etreux, le 27 août :
ici
Nos chaleureux remerciements vont en direction de l'Office du Tourisme de Laon, ainsi qu'au personnel en service sur le site historique de la Citadelle de Guise (guide, personnel d'accueil...).
*1 - Publié dans le journal "La voix du Nord" - Mémoires de Pointcaré
Autres témoignages de civils dans, le Journal "Le pays de France" N° 15 du 28 Janvier 1915 - N° 46 du 2 Septembre 1915 et N° 16 du 4 Février 1915.