Lieux d'inhumation des combattants : concepts, symboles, architectures, lieux...
I. Concept
"Les morts, comme les légumes, peuvent être conservés dans la saumure ou le vinaigre. On peut aussi les abandonner aux bêtes féroces, les brûler comme les ordures ou les enterrer comme un trésor.
De l'embaumement à la crémation, toutes sortes de techniques sont utilisées mais l'essentiel c'est qu'il faut faire quelque chose des cadavres. Cela est toujours vrai, et depuis longtemps."*
Dès l'Antiquité, les soldats morts sont inhumés. Selon leur culture, les lieux de sépulture sont tantôt individuels, tantôt collectifs.
- A Athènes, se trouvait près de l'Acropole, un cimetière abritant les citoyens morts pour la patrie.
- Durant la guerre de Trente Ans, qui fit rage au XVIIe siècle, les cadavres étaient dépouillés et abandonnés aux corbeaux.
- Lors des guerres napoléoniennes, vu le nombre de combattants en action et des pertes importantes subies ou infligées, on procède à l'enfouissement des cadavres, amis ou ennemis, dans des fosses communes.
A partir de 1859, à la suite de l'hécatombe de la bataille de Solferino, les dirigeants européens s'attachent à constituer une réglementation internationale de la guerre, visant à "codifier" tant la guerre que ses conséquences sur les populations civiles ou combattantes.
C'est ainsi que seront établies les Convention de Genève (août 1864) et de La Haye (mai 1899). Ces dispositions feront toutefois l'objet d'amendements, dès le début du XX e siècle.
En 1871, le Traité de Francfort stipule, en son article 16, que "les deux gouvernements français et allemand s'engagent réciproquement à faire respecter et entretenir les tombeaux des soldats ensevelis sur leurs territoires respectifs".
C'est à cette époque que, pour la première fois, apparaît la notion de "droit au repos permanent" des soldats décédés.
Durant la Première Guerre Mondiale, le principe d'inhumation individuelle des soldats tués au combat se généralise.
On estime, cependant, que sur le front de l'Ouest, la moitié des soldats tués ne seront pas retrouvés et encore moins identifiés.
II. Création d'espaces réservés
Conception
Chaque nation engagée dans le conflit s'accorde une architecture particulière pour les champs de repos de ses guerriers, et cela, en fonction des traditions, du rôle joué par la religion dans la société en question, ainsi qu'en fonction de la volonté politique des gouvernants impliqués.
L'organisation géographique des nécropoles se fondera sur deux tendances contradictoires.
Ainsi, la France et les Etats-Unis procéderont au regroupement des morts en de vastes cimetières régionaux, afin de "marquer les esprits". Les pays du Commonwealth opteront, quant à eux, pour une multitude de lieux d'inhumation, sis au plus près des zones de combats, répondant ainsi à la tradition ancestrale du contact du guerrier avec la terre du champ de bataille.
Réalisation
Des programmes globaux sont constitués en matière de création de cimetières. Leur but commun est d'offrir une marque impérissable. Tous reprennent les caractéristiques suivantes :
- la création de services d'inhumation ;
- une planification d'ensemble ;
- un regroupement national ;
- une étendue importante ;
- des espaces aux formes simples, pures et répétitives ;
- l'utilisation de moyen modernes pour l'édification ;
- la standardisation des croix et stèles ;
- la recherche de matériaux durables, parfois importés de la région d'origine des combattants.
Signes religieux
Un choix dut être opéré quant aux symboles repris sur chaque tombe.
La France optera la croix (en bois d'abord et ensuite en béton armé), pour passer enfin au ciment composite.
Les pays du Commonwealth adopteront pour une stèle ou une dalle. Les Allemands préféreront une croix de pierre ou en fonte d'aluminium. La Belgique choisira une stèle massive en pierre.
Les Américains reprendront le symbole d'appartenance religieuse du défunt gravé dans du marbre blanc.
L'appartenance philosophique est indiquée pour tous les pays à l'exception de la Belgique qui semble en tous lieux la faire disparaitre.
III. Les champs de repos
A. Sur le sol français
La France compte 2.330 cimetières de la Première Guerre Mondiale. La loi française du 29/12/1915 établit un droit à une sépulture perpétuelle sur le sol national des soldats français et alliés décédés. Cette disposition sera étendue par la loi du 28/06/1922, aux "ex-ennemis".
Un accord, daté du 26/11/1918, prévoit la cession gratuite aux Britanniques, sans limitation de durée, des terrains des cimetières militaires. L'Etat français conserve, cependant, la propriété du sol, là où ils sont établis.
La partie VI, section II, des articles 225 et 226 du Traité de Versailles, de juin 1919, traite des sépultures et à ce propos prévoit un entretien mutuel des tombes.
a) Les cimetières militaires français
La loi du 29/12/1915 envisage la création de nécropoles nationales visant à regrouper les corps des combattants "Morts pour la France", pourvues de sépultures perpétuelles entretenues aux frais de l'Etat.
Ainsi 265 nécropoles regroupent 730.000 corps (identifiés ou non) sur le sol français. Le coût des installations fut réduit ; de ce fait leur esthétique en eut à souffrir. Les plans furent tracés par des techniciens du Ministère des Pensions, ils répondaient à un cahier des charges de la circulaire du 24/02/1927.
On adopta pour une disposition-type en 1928. Celle-ci prévoyait un drapeau tricolore au point central de la nécropole ; des tombes alignées en rangées, évoquant l'alignement militaire ; des rosiers rouges et 4 types d'emblèmes (croix latines, stèles musulmanes, stèle israélite, stèle pour autre confession ou libre penseur). En vertu de la réaffirmation du principe républicain de la laïcité, la plaque apposée sur chaque tombe identifie nominativement le défunt (ou "inconnu"). Elle porte, en outre, la mention "Mort pour la France".
En outre, un règlement interdit tout aménagement somptuaire ou visant à créer une distinction entre les sépultures.
b) Les cimetières du Commonwealth
C'est la Commonwealth War Graves Commission qui sera en charge des cimetières. Elle veillera au respect dû au corps du combattant, ainsi qu'au respect du principe d'égalité entre les morts identifiés ou non.
Trois architectes britanniques encadrent l'aménagement des cimetières : Reginald Bloomfield, Herbert Baker et Edwin Lutyens.
Les lieux de sépulture sont matérialisés par des jardins reconstituant le paradis perdu, là où l'Homme vivait en paix et en harmonie avec la nature. Les arbres, les bosquets, les fleurs apportent couleurs et senteurs au fil des saisons.
Pour le choix de l'inscription apposée sur les stèles en pierre, les familles furent consultées. La gravure du symbole lié à l'appartenance religieuse ne fit pas l'objet de transaction financière. Par contre, une éventuelle épitaphe (maximum 66 signes) entraîna une participation financière de 3 pences et demi par lettre gravée...
Rudyard Kipling sera chargé de sélectionner quelques courtes épitaphes (Pour Dieu, le Roi et le pays ; Ainsi soit-il, etc.)
Le gouvernement néo-zélandais estima, de son côté, qu'aucune épitaphe ne serait à même d'exprimer le chagrin ressenti.
Reginald Bloomfield compte à son actif le dessin de 120 cimetières, dont celui de Laventie dans le Pas-de-Calais, et de mémoriaux en France et en Belgique (Porte de Menin à Ypres).
C'est également Bloomfield qui sera le créateur de la "croix du sacrifice" portant sur sa face frontale une longue épée de bronze pointant vers le bas, en signe de deuil.
On doit à Edwin Lutyens la conception de 126 cimetières installés tant en France qu'en Belgique. Lutyens fut chargé de la conception de la pierre du souvenir (War Stone) qui orne les cimetières de plus de 400 tombes.
Cet élément porte sur ses deux faces une inscription de l'Ecclésiaste : "Their name liveth for evermore" ; "Leurs noms demeurent à jamais".
Lutyens a veillé à ce que ces lieux du souvenir s'intègrent dans le paysage, et, qu'ils témoignent de la fusion du minéral et du végétal.
A ces fins, il collaborera avec Gertrude Jekyll, créatrice de jardins. Ensemble, ils choisiront soigneusement des végétaux de base représentatifs de ceux rencontrés dans les "cottage gardens" (roses, plantes vivaces à fleurs de petite taille). Le gazon, uni et doux, d'un vert tendre, tondu court, aplanit, quant à lui, les différences entre les défunts ; il les entoure de sérénité.
c) Les cimetières militaires allemands
Les lieux de sépultures allemands, ou Soldatenfriedhöfe, ont été placés, en 1919, sous tutelle administrative française. Les dispositions du Traité de Versailles prévoyaient, en effet, que cette situation durerait jusqu'en 1966. L'administration française refusa de rendre les corps aux familles allemandes.
En 1926, cependant, la Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge (V.D.K.) fut autorisée à intervenir en France. C'est elle qui se charge, encore aujourd'hui, de l'entretien des nécropoles allemandes.
Les lieux de sépulture allemands ont été imaginés par Robert Tischler, lui-même ancien combattant.
Deux principes ont été pris en compte : le deuil et la vie universelle.
Vu l'exiguïté des concessions, on procéda à des inhumations en "fosses communes" (tombes des camarades).
Tischler veille à "fondre" le cimetière dans son environnement, en respectant les mouvements du terrain. La croissance de la végétation y est libre ; les arbres ne sont pas élagués. Ce concept renvoie à la mythologie germanique fondée sur la communion de l'Homme et de la Nature.
Si l'on se réfère aux racines celtes, le culte des morts nordique est établi à l'orée d'un bois ou d'une forêt pour procurer aux morts l'ombre nécessaire au repos éternel.
Trois arbres sont sélectionnés.
Le chêne représente la force (l'arbre de Hu, le maître du Ciel) ; le bouleau exprime la beauté (Karidwen, la Mère éternelle) et l'if révèle la sagesse (le père, le joug).
Hu Kadarn, le guerrier céleste, dieu de la jeunesse et de la beauté, mène les hommes au combat contre Cythraul (le principe des Ténèbres). Il a pour emblème le menhir, la colonne de pierre non taillée. C'est ce bloc, monolithe, que l'on rencontre généralement au centre des nécropoles germaniques.
L'architecture est austère ; on dédie de grands espaces aux arbres. Ceux-ci veillent au repos éternel des soldats. Le visiteur a l'impression que le cimetière se situe en zone forestière. Des clôtures de pierre et des portails en fer forgé terminent le site.
En ces lieux, on y trouve également de grandes croix de pierre. Les fosses communes sont identifiées par des dalles gravées et par des croix de pierre aux contours bruts.
Chaque sépulture porte les nom, prénom, grade et fonction, dates de naissance et de décès ainsi que l'appartenance religieuse du défunt.
C'est ainsi que l'on retrouve des sépultures surmontées d'étoiles de David, pour les juifs.
Dès son accession au pouvoir, Adolf Hitler récupère la V.D.K. au profit de son idéologie. Tischler se ralliera également au dirigeant nazi.
d) Les cimetières américains
L'American Battle Monuments Commission (A.B.M.C.) est une agence indépendante du gouvernement américain en charge de l'entretien des monuments et cimetières américains, sis hors du territoire national.
L'institution a été fondée par le Congrès en 1923, chargée de l'étude, de la construction, de l'entretien de ces lieux. L'organe supervise, en outre, tout ce qui touche aux monuments érigés à l'étranger, par des citoyens ou des associations américaines, tant publiques que privées.
Le premier secrétaire général de l'A.B.M.C., de 1923 à 1948, fut le général John J. Pershing.
B. Sur le sol belge
a) Les cimetières militaires belges
Les cimetières créés entre 1914 et 1918 étaient situés à proximité immédiate du champ de bataille ou d'hôpitaux de campagne.
Après la guerre, le gouvernement belge autorisera l'exhumation des corps de soldats et leur inhumation dans leur région d'origine. Certains lieux regrouperont des tombes isolées ou provenant de petits cimetières. Par ailleurs, des lieux de mémoire seront organisés autour de fosses communes (Ougrée : ici).
Le gouvernement belge choisit, en 1924, un modèle de stèle en pierre de taille qui remplacera les croix de bois initiales.
Dans les cimetières, les tombes sont alignées en rangées étroites, en parcelles, et aussi de manière à épouser les contours des sites d'inhumation (Boncelles : ici). Les pierres tombales sont réalisées en pierre bleue, portant une plaque de bronze reprenant l'identité du défunt, l'unité, les dates de naissance et de décès, les décorations éventuelles ainsi qu'une plaque émaillée aux trois couleurs nationales.
Une exception existe toutefois ; celle du cimetière de Houthulst. Là où, on rencontre des stèles en forme de croix celtiques portant l'inscription AVV-VVK (Alles voor Vlaanderen, Vlaanderen voor Christus), ainsi qu'un "Blauwvoet" (symbole du mouvement flamand).
Ces croix furent érigées, à partir de 1916, par le "Vlaamse Comite voor Heldenhulde", sur les tombes d'étudiants flamands ou encore celles de sympathisants du mouvement flamand.
En 1928, c'est le Ministère des Affaires intérieures qui prend en charge les cimetières militaires.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Belgique comptera 20 cimetière militaires belges (21, si l'on compte le Carré des Fusillés d'Evere), ainsi que 80 parcelles militaires dans des cimetières communaux.
En 2004, c'est à la Défense qu'incombe la charge de ces lieux.
Depuis janvier 2009, le Service des Sépultures militaires est intégré à L'Institut des Vétérans et Institut National des Invalides de Guerre (IV-INIG).
Constatons que peu de moyens financiers ont été consacrés à la mémoire de ces nécropoles. Qu'à l'approche des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, une rénovation ou une remise en état des nécropoles abandonnées depuis de nombreuses années a été entamée.
b) Une nécropole du Commonwealth : ICI
c) Un cimetière allemand : ICI
d) Un cimetière américain : ICI
A Auvelais, un cimetière allemand devenu français : ICI Plus d'information sur les cimetières militaires : ICI
* Réf. : P. BOYER, Et l'homme créa les dieux. Comment expliquer la religion, Gallimard, Folio Essais, 2001, p.292